lundi 2 janvier 2012

La machine


La femme s’avance, circonspecte. Elle boirait bien quelque chose de chaud. Posée sur la table, la machine lui fait face. C’est un cube de métal et de plastic qui parait aussi engageant qu’un parcomètre. Mais c’est une machine à café. Noir, au lait, sucré, déca...  pour 1,20 euro, elle vous le sert selon le goût que vous avez sélectionné. Et elle fait même de l’eau chaude. Pour le thé.
Que faut-il mettre ? Le compte juste ? Une pièce de un euro et une de vingt centimes ? La dame s’interroge. Elle approche précautionneusement son regard de myope. C’est écrit en tout petit au dessus de l’écran digital : la machine accepte toutes les pièces, de 5 centimes à deux euros, et elle rend la monnaie. La dame pousse sur le bouton « café au lait sucré », pour voir. Rien ne se passe ; il faut d’abord payer. Elle hésite, flaire un piège. Elle regarde autour d’elle, mais il n’y a personne pour l’aider ; elle est seule face à cet engin qu’elle devine hostile. Elle se saisit néanmoins d’un gobelet en carton dans le distributeur et le place sous le bec verseur, c’est une action sans danger. Mais sans conséquence...
Elle se décide enfin : fouillant son sac à main, elle y trouve son porte-monnaie et en extrait scrupuleusement le compte exact en quatre pièces. Elle en pousse une première dans la fente. La machine avale la pièce de 10 centimes sans broncher. Seule une modification du texte sur l’écran où s’inscrit désormais « À payer : 1,10 euro » indique qu’elle semble fonctionner normalement. La dame insère alors une autre pièce, puis les deux dernières. À chaque fois, elle suit d’une oreille inquiète le parcours de la pièce qui disparait dans les entrailles métalliques et les réponses sur l’écran. Il indique maintenant : « Sélectionnez la boisson de votre choix ». La dame a un petit serrement au cœur, une ultime hésitation, mais appuie enfin sur le bouton « café au lait sucré ». Rien ne se passe. L’angoisse l’étreint déjà. Soudain, un bruit qui évoque à la fois le cabinet dentaire et la calandreuse automatique la fait sursauter. Enfin, quelque chose coule dans le gobelet. En quelques secondes, il est rempli. La femme attend les dernières gouttes, après quoi, elle s’empare du récipient. C’est chaud et ça sent indubitablement le café. Elle se retourne en esquissant un sourire de satisfaction : une fois encore, l’Humain a triomphé de la machine.

2 commentaires:

  1. Écrit tout seul comme un grand, sans consignes, entre Noël et Nouvel an. Avec juste l’envie de raconter une histoire. Mais j’ai quand même dû, pour enclencher la mécanique, me rendre sur les lieux de l’atelier déserté pour cause de trêve des confiseurs. La machine s’y trouve, et j’y ai un jour perdu 1,20 €, faute d’avoir glissé le gobelet sous le bec verseur. La machine est subtile...

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  2. Délicieux. Toute cette description parle de notre expérience et nous sommes tous cette femme. Que ce soit face à une machine à café, un ordinateur, les premiers distributeurs de billets, etc. Sans doute fallait-il, effectivement, pour atteindre à cet « universel » (n’ayons pas peur des mots…) ne pas décrire plus avant la femme.

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