samedi 5 décembre 2015
lundi 9 novembre 2015
jeudi 17 septembre 2015
Quelques haïkus
L'enfant fait des bulles
Le vent souffle vers le sud
Demain le soleil
Le vent souffle vers le sud
Demain le soleil
***
J'aimerai le feu
Et ses bruits et son odeur
Dehors, il pleuvra
***
La terre sous mes pas
Mes souvenirs comme bagage
Au loin l'horizon
***
Matin de soleil
Perdu dans les saisons froides
C'est lui qu'il faut croire
***
Nuages qui nuagent
Vent qui vente et pluie qui pleut
Mais le vert brunit
***
Odeurs de canelle
Chocolat et grenadine
Dimanche de crêpes
***
Le pelage éteint
Gris, couleur de macadam
Un chat écrasé
***
Les traces de tes pas
L'horizon de gris en gris
Ostende sous la pluie
***
(hors série :)
Il traverse la route
Surprise, elle freine et dérape
Haïku du lapin
Il traverse la route
Surprise, elle freine et dérape
Haïku du lapin
***
vendredi 28 août 2015
lundi 11 mai 2015
Le destin est aveugle
Son handicap avait fait de Charles un homme prudent. Il savait que pour survivre aux dangers de la jungle urbaine, il lui fallait mettre toutes les chances de son côté. Il s'était ainsi fait tatouer son groupe sanguin au revers de la main. Il sentait encore les picotements en sortant de l'échoppe du tatoueur et sans doute en était-il un peu distrait car il s'engagea sur le carrefour sans prêter la moindre attention au signal.
L'automobile le faucha à la vitesse réglementaire de cinquante kilomètres à l'heure, envoyant du même coup sa canne blanche et ses lunettes noires dans la rigole. À l'arrivée de l'ambulance, Charles avait déjà perdu beaucoup de sang. Il eut cependant, avant de sombrer dans l'inconscience un éclair de satisfaction à l'idée que sa prévoyance allait sans doute lui sauver la vie. Pourtant, il mourut peu après son admission à l'hôpital faute d'une transfusion adéquate, car aucun urgentiste ne pensa à donner aux quelques points qui marquaient son poignet, le sens qu'ils avaient : AB+.
L'automobile le faucha à la vitesse réglementaire de cinquante kilomètres à l'heure, envoyant du même coup sa canne blanche et ses lunettes noires dans la rigole. À l'arrivée de l'ambulance, Charles avait déjà perdu beaucoup de sang. Il eut cependant, avant de sombrer dans l'inconscience un éclair de satisfaction à l'idée que sa prévoyance allait sans doute lui sauver la vie. Pourtant, il mourut peu après son admission à l'hôpital faute d'une transfusion adéquate, car aucun urgentiste ne pensa à donner aux quelques points qui marquaient son poignet, le sens qu'ils avaient : AB+.
mercredi 6 mai 2015
Chronique schaerbeekoise
J'étais tranquille, peinard, en train de préparer
ma soupe du soir et des jours prochains. J'avais salé-poivré et remis
le couvercle. Je pouvais retourner à d'autres occupations en attendant
la prochaine étape.
Je ne m'attendais pas à le trouver là. Il était gras, laid, bête et vulgaire comme un pigeon; c'était un pigeon. Il avait marché comme chez lui les quelques mètres qui séparent ma terrasse de mon bureau, y cherchant sans doute une inexistante pitance. Lui aussi parut surpris. Dérangé dans sa visite sans doute, il décolla prestement à la verticale et se cogna la tête au plafond, insuffisamment toutefois que pour s'assommer. Il fit une fois le tour de la pièce avant d'en trouver la sortie qui passait par la pièce adjacente. Là, il se fracassa par trois fois le bec à la partie supérieure de la porte-fenêtre avant de changer d'altitude pour enfin franchir en volant la porte par laquelle il était entré à pied. Je croyais en être débarrassé, mais non! L'abruti n'eut rien de plus pressé que de se poser sur la rambarde de ma terrasse, comme si elle appartenait à l'espace public. Exaspéré, je pris un journal qui trainait là et chassai d'un geste le grossier qui prit enfin ses ailes à son cou et se dirigea vers les toits voisins.
Grossier, oui, car il m'imposa en vérité un ultime geste : l'infâme avait marqué son passage durant sa promenade... Je hais les pigeons.
Je ne m'attendais pas à le trouver là. Il était gras, laid, bête et vulgaire comme un pigeon; c'était un pigeon. Il avait marché comme chez lui les quelques mètres qui séparent ma terrasse de mon bureau, y cherchant sans doute une inexistante pitance. Lui aussi parut surpris. Dérangé dans sa visite sans doute, il décolla prestement à la verticale et se cogna la tête au plafond, insuffisamment toutefois que pour s'assommer. Il fit une fois le tour de la pièce avant d'en trouver la sortie qui passait par la pièce adjacente. Là, il se fracassa par trois fois le bec à la partie supérieure de la porte-fenêtre avant de changer d'altitude pour enfin franchir en volant la porte par laquelle il était entré à pied. Je croyais en être débarrassé, mais non! L'abruti n'eut rien de plus pressé que de se poser sur la rambarde de ma terrasse, comme si elle appartenait à l'espace public. Exaspéré, je pris un journal qui trainait là et chassai d'un geste le grossier qui prit enfin ses ailes à son cou et se dirigea vers les toits voisins.
Grossier, oui, car il m'imposa en vérité un ultime geste : l'infâme avait marqué son passage durant sa promenade... Je hais les pigeons.
mercredi 1 avril 2015
Chronique mexicaine n°1
À mon avis, les Mexicains ne fabriquent pas
leurs robinets eux-mêmes : ils les importent de chez le grand frère honni,
los Estados Unidos. Le problème avec les Américains, c’est qu’ils exportent des
robinets à usage interne, ou en tout cas, à usage anglo-saxon. Si je vous raconte
cela, c’est que j’avais lu le commentaire d’un voyageur qui s’exaspérait de ne
pas avoir eu d’eau chaude dans l’hôtel où je transitais avant de poursuivre mon
chemin. Je m’attendais donc au pire.
Pourtant, après une attente raisonnable, l’eau chaude est
arrivée, et même suffisamment chaude pour que je doive la tempérer. Alors, me
suis-je demandé, qu’était-il arrivé au malheureux voyageur qui avait dû se
laver à l’eau froide ? Était-il anglophone ? C’est que là-bas, ce n’est
pas comme en Europe. Un Européen est habitué aux codes graphiques. Ainsi, pour la
robinetterie, l’eau chaude se signale par une pastille rouge (couleur chaude
s’il en est) et l’eau froide par une pastille bleue. Mais dans cet hôtel, point de
couleur sur les robinets, mais des lettres : C et H.
N’importe quel anglophone identifiera ces lettres comme les
initiales de Cold et Hot, tout comme d’ailleurs, le non anglophone instruit et
habitué à la prévalence de l’anglais. Mais pas le plombier mexicain qui n’a rien à
faire des anglophones, ni même des touristes instruits. Il identifie le C comme
l’initiale de Caldo, chaud, et ne se pose pas de question superflue sur la
signification du H. Il raccorde ses robinets et voilà tout.
J’ai eu un instant de compassion pour ce touriste qui avait
désespérément attendu l’eau chaude sortir d’un robinet d’eau froide. Mais un
instant seulement.
dimanche 15 mars 2015
La triste et pathétique histoire du vin qui n'avait jamais pu vieillir
Il y avait dans mon enfance un monsieur qui,
chaque année à la même période, venait visiter mon père. Il s'appelait Peuch et
représentait la maison "Peuch et Besse" qui, je le suppose, existe
encore aujourd'hui, même si Monsieur Peuch doit avoir disparu. C'était dans les
années 60 et 70. Si je me souviens bien de son accent et si je situe bien
celui-ci sur la carte de France, ce monsieur devait être Bordelais.
C’était un négociant en vins qui venait tous les
ans présenter à mon père les crus qui seraient susceptibles de l'intéresser :
blancs, rouges, bordeaux, grenats, clairets, vins à vieillir ou à consommer
jeunes... La Maison de M. Peuch s'étendait bien au-delà du Bordelais, je
suppose, puisque j'ai le souvenir de vins de la Loire, de Bourgogne et des
Côtes du Rhône. Il était rare que mon père s'en tirât à moins d'un quart de
barrique, parfois deux, auxquelles s'ajoutaient des alcools divers, du
Champagne et autres bouteilles particulières ; il faut savoir être prévoyant.
Le whisky posait moins de problèmes ; on le trouvait au magasin du coin.
Arrivait donc à Bruxelles, quelques semaines plus
tard, un camion rempli de la commande. Une fois le vin reposé, on allait
pouvoir procéder à la mise en bouteilles. Vous connaissez tous la cérémonie :
On stérilise les bouteilles et les bouchons, on amorce la pompe, et zou, ça
roule ! Glouglou, fait la pompe ; tchic-plop, fait la bouchonneuse, et voilà.
Il ne reste plus qu'à coller les étiquettes avec du lait. Ça, c'était mon boulot
: 'fallait pas que ce soit de travers. J'étais déjà obsessionnel, à cet âge-là.
Ah, oui ! J'oublie le capsulage. Je ne sais plus si c'était avant ou après les
étiquettes, et j'ai oublié le bruit que faisait la machine.
En attendant de remettre le vin à reposer dans son
nouveau contenant, et dans des caveaux dévolus à cette effet, on déposait les
bouteilles sur la table de ping-pong. Mon père l'avait construite de ses mains
de bricoleur chevronné pour ses enfants, car en dehors des périodes
d'embouteillage, cette partie de la cave était réservée à nos loisirs. Combien
de bouteilles peut-on remplir au départ d'une demi-barrique ? La question est
plutôt de savoir combien une table de ping-pong artisanale peut en supporter
sans…
... Car il y eut la bouteille de trop. Celle qui
fit chavirer l'ensemble et se briser sur le ciment une bonne partie du travail
accompli jusqu'alors. On pleura un peu, on balaya beaucoup et on nettoya à
grandes eaux. On finit par en rire, je suppose ; les réserves étaient
suffisantes jusqu'à l'année suivante. Et on garda l'anecdote pour les soirées
au coin du feu. Mais sans doute après cela, mon père, qui était un homme
organisé, s'est-il inquiété des termes de son assurance accidents…
lundi 9 mars 2015
vendredi 6 mars 2015
Flore
Les anciennes cuisinières à gaz sont bien dangereuses. Pour
peu qu’on soit distrait, la casserole déborde, le liquide éteint la flamme, et
le gaz continue de s’échapper en toute liberté. La mienne, de casserole, ça
fait déjà un moment qu’elle bouillait.
Quinze ans ! Quinze ans que tous les jeudis tu
renouvelles le bouquet de fleurs sur la table du salon. « Un si beau vase, ce serait dommage de le
laisser inutilisé » disais-tu à propos de cette horreur signée Val-Saint-Lambert héritée de ta mère.
Quinze ans que tu ignores superbement mon rhume des foins et mes yeux rouges. Quinze
ans que tu progresses dans l’extravagance : car ils sont de plus en plus
colorés, de plus en plus fournis, de plus en plus riches, tes bouquets. Riche comme
doit d’ailleurs l’être le fleuriste du quartier ; celui chez qui tu suis
tes cours d’arrangement floral au rythme minimum d’un après-midi par semaine.
Un véritable artiste doublé d’un pédagogue, ton jardinier d’intérieur,
paraît-il. Tout comme il paraît que tu es « très
douée ». Si tu le dis...
Moi, je n’y mets jamais les pieds chez ton marchand : autant
m’enfoncer la tête dans un sac en plastique. Mais il nous arrive de le croiser
en rue. Et c’est bizarre, j’ai l’impression qu’il a deux sourires
différents : d’abord un pour toi, un peu mielleux, un peu niais, un
sourire de commerçant, quoi ; alors que celui qu’il m’adresse ensuite me
semble teinté d’ironie. Je trouve ça peu fair-play de se moquer de l’infirmité
de ses voisins. Est-ce que je me moque de ses rouflaquettes de garçon coiffeur,
de son bronzage de banc solaire et de sa chaine en or, moi ? Il y aurait
pourtant de quoi.
Enfin, on a des comptes séparés, et si tu veux faire la
richesse d’un fleuriste, c’est ton affaire. Moi, je garde mes sous. Pour la
belote chez Fernand, pour mes cravates, puisqu’il y a belle lurette que tu ne
m’en achètes plus, pour mon Lotto. Et si je gagne... Bye-bye, je disparais,
loin de tes fleurs et de ta tabagie. Parce que tu fumes en plus. Le
soir, devant la TV, la fumée de tes Gauloises, en plus du pollen de tes iris de
merde, c’est insupportable. Et pourtant, je supporte. Pour combien de temps
encore ? De mémoire d’asthmatique, je ne me souviens pas d’un printemps
aussi calamiteux. On dirait que toutes les essences se sont mises d’accord pour
exploser leurs parfums les uns après les autres, sans un instant de répit. Et il y a belle lurette que
plus aucun antihistaminique ne me fait d’effet. Pour survivre, il me faudrait
en permanence vivre au vent du large, dans un désert ou dans les neiges
éternelles. Je supporte et j’attends le gros lot...
C’est lors d’une crise d’éternuements particulièrement
féroce que m’est venue la solution. Les papiers qui se trouvaient devant moi –précisément ceux de notre assurance-vie dont je revoyais les termes– avaient volé dans tous les sens ; un vrai champ de
bataille ! Comme si un bâton de dynamite était passé par là.
Tu savais que mon travail me retenait en province pour la
nuit. Je comprends que tu en aies profité pour poursuivre ton cours d’art
floral à domicile : ça devait vous inspirer de travailler in situ. Mais j’avais
malencontreusement oublié la bouilloire sur le gaz avant de sortir. Alors évidemment,
quand tu as allumé ta clope à peine passé le seuil de l’appartement, ton professeur
en a été soufflé également. C’est ce qu’on appelle un dégât collatéral.
On
dit qu’un bonheur n’arrive jamais seul, c’est vrai. Cinq numéros plus le
complémentaire, ça ne fait pas le gros lot, mais ça permet de belles vacances,
même à deux. Je ne t’ai pas parlé de la nouvelle serveuse de chez
Fernand ? Flore, vingt-cinq ans, belle comme un printemps ! Oh, ça ne
durera sans doute pas, mais cette histoire-là ne me fera pas pleurer.
mercredi 4 mars 2015
marabout de ficelle de cheval
Ça commencerait un peu comme ce film où Michael Douglas pète les plombs dans un embouteillage. J'aime bien Michael Douglas, comme acteur. J'aimais bien son père aussi. Ils se ressemblent, non? C'est marrant comme des caractères physiques peuvent se transmettre ainsi d'une génération à l'autre. Mon frère, par exemple, avait hérité des grandes oreilles de notre grand-père. Je m'étais d'ailleurs amusé à transformer une photo en un petit film où on les voyait grandir encore. C'est que, de nos jours, n'importe qui peut utiliser des petits programmes informatiques sans aucune formation. Il suffit de pratiquer un peu et hop ! comme une lettre à la poste. Encore que parfois, les services postaux laissent à désirer. Je dois avouer cependant que je n'ai jamais vraiment eu à m'en plaindre. Sauf… Mais je ne pourrais pas développer ce sujet sans porter atteinte à l'honorabilité d'une personne qui m'est chère. Et puis, c'était il y a si longtemps. On comptait encore en francs, c'est vous dire. Il parait d'ailleurs que certains veulent y revenir. Personnellement, je n'ai aucune opinion sur la question. Sans doute faudrait-il un référendum? Quelle affaire ce serait ! On serait harcelés de toutes parts pour donner notre voix d'un côté ou de l'autre. Le harcèlement, voilà bien un des maux de notre époque. On parlait encore récemment à la télévision d'un employé forcé de démissionner sous la pression de ses collègues. Bien sûr, il ne faut pas croire tout ce que disent les journaux. C'est comme la vie privée des stars; sait-on jamais vraiment si leurs excentricités ne sont pas inventées par des journalistes en mal de copie? Si on les écoutait, tous les artistes seraient drogués, alcooliques, maniaques, pervers… Franchement, on peut bien vivre sans savoir que Michael Douglas est accro à la cocaïne. J'aime bien Michael Douglas, comme acteur. J'aimais bien son père aussi...
vendredi 27 février 2015
Mireille
J’aime bien Mireille ;
Josiane, moins.
Entendons-nous
bien : je ne veux pas dire par là que je préfère l'amie de ma fille à ma
femme, mais bien que ma femme a un souci avec celle-ci. Pourtant, quand Mélanie
nous avait présenté Mireille, Josiane l’avait trouvée charmante. Il faut dire
que jusqu’alors, les copains de notre fille, c’étaient plutôt des rappeurs à
casquette qui semblaient nous prendre pour des zombies. Alors, cette gamine
toute fraiche, toute pimpante, qui redonnait à Mélanie le goût des études, cela
avait été un vrai bol d’air pour Josiane.
C’est vrai qu’on s’inquiétait pour son
avenir à Mélanie; elle n’avait pas l’air de s’amuser beaucoup dans ses études
de pharmacie et certains jours, elle revenait de l’université avec un drôle
d’air. « On a fait un labo »
disait-elle. Faut-il vraiment que les étudiants essaient eux-mêmes tous les
médicaments ? Bref, Josiane et moi, on a tout de suite vu la différence
entre Mireille et les autres copains. « Ça a tout de suite été le coup de foudre » nous ont-elles
expliqué. Manifestement, elles s’entendaient bien ; elles étaient
joyeuses, et quand Mireille partageait notre dîner, toutes deux parlaient de
leurs cours, de leurs profs, de la vie sur le campus ; des étudiantes
modèle, quoi ! Mélanie découchait toujours autant, mais de la savoir avec
son amie on était rassurés : « Elle
étudient » se disait-on. Et les rappeurs avaient disparu du paysage.
De mon côté, je n’étais pas insensible aux charmes de cette jolie rousse à
l’œil coquin, aux jambes de mannequin, aux... enfin bon. Le fantasme y trouvait
son compte ; en tout bien tout honneur, bien sûr ! Mais on peut
rêver...
De son côté, Josiane attendait le Prince
charmant. Je veux dire : pour sa fille. Elle espérait que Mélanie lui
présenterait un jour un jeune étudiant en dentisterie —à chacun ses fantasmes—,
avec mariage et une flopée de petits-enfants à la clé. Les quelques prétendants
au titre qui s’étaient présentés ne l’avaient guère convaincue. Heureusement, Mélanie
s’en était elle-même désintéressée assez vite. Mais, régulièrement, sa mère
s’acharnait à s’enquérir de sa vie sentimentale et de ses projets.
- « Maman, je n’ai que 22 ans ! »
- « Hé bien, j’en avais 20 quand ton père m’a épousée. »
Mélanie nous considérait alors avec une
sorte d’indulgence navrée et la conversation s’arrêtait là.
Quand arriva le printemps, annonciateur du blocus de fin de
session, nous ne vîmes plus les deux amies que lors de repas dominicaux
auxquels Josiane tenait beaucoup. Mais pour les études, le petit flat de Mireille
offrait, disaient-elles, plus de confort. Josiane peinait à se faire à
l’éloignement croissant de sa progéniture, mais comme je le lui répétais, il
faudrait bien un jour que notre fille fasse sa vie et en attendant, il fallait
qu’elle réussisse l’université. Et justement, l’énergie communicative de Mireille
avait porté ses fruits : pas un seul échec. Pour la première fois depuis
l’école primaire, Mélanie allait pouvoir passer des vacances d’été sans
deuxième session. Bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes,
hormis pour Josiane, le gendre idéal qui tardait à arriver à se présenter.
C’est dans l’euphorie de la réussite que Mélanie entreprit
de nous faire part d’une « grande nouvelle ». Je surpris le regard
extatique de ma femme quand sa petite fille chérie commença avec un drôle de
sourire : « Maman, Papa, je
suis amoureuse... », mais je la vis se liquéfier en entendant la
suite : depuis six mois, notre fille filait le parfait amour avec Mireille.
- « Tu veux dire que c’est (les mots eurent du mal à passer)
ta petite amie ? »
- « Oui. »
- « A... alors, quand tu dors chez elle, tu... vous... ? »
- « Oui, avait coupé Mélanie. »
Josiane avait fondu en larmes. Ses rêves de grand-mère aux
confitures s’évaporaient. Mélanie ne s’était pas étonnée outre mesure de cette
réaction et essaya à peine de consoler sa mère. Les repas familiaux n’eurent
plus la même saveur, mais ils continuèrent ; toute mortifiée qu’elle fût,
Josiane ne pouvait se résoudre à couper le cordon et elle fut bien obligée
d’accepter Mireille comme sa belle-fille. Elle n’avait pourtant pas encore tout
vu : Un dimanche, les deux filles arrivèrent accompagnées d’un ignoble
clébard, bruyant et névrosé, qui
occupait bien plus d’espace que ses 400 grammes de nerfs et d’os ne le
laissaient supposer. Elles l’avaient baptisé Rambo. « En attendant
d’avoir des enfants » avait minaudé la rouquine copine. Quand elles
furent parties, Josiane explosa : « Des enfants ? Mais de qui seraient-ils ? » Elle ne
se voyait vraiment pas pouponner avec amour des enfants adoptés, ou nés de père
inconnu. « Et par quelle opération,
Grand Dieu ? » Josiane n’a pas toujours de suite dans les idées.
Voulait-elle ou ne voulait-elle pas de petits-enfants ?
Mélanie, qui avait cru discerner un certain agacement chez
sa mère, convainquit sans doute son amie de ne plus remettre le sujet sur la
table. La crise passa, et la vie continua. On les vit même plus souvent à la
maison. Mireille se faisait enjôleuse. Voulait-elle nous convaincre que
finalement, elle ferait une bru parfaite ? Elle s’offrait à la vaisselle, au
ménage, à la cuisine. Elle parvint même à nous faire partir en vacances à
quatre ; elle avait dégotté une petite location à Naples et s’était
occupée de tout, nous n’avions eu qu’à préparer nos bagages. Josiane, qui n’avait plus vu l’Italie
depuis notre voyage de noces se laissa convaincre. Tout était prévu ; à l’aéroport,
une petite Fiat nous attendait pour la quinzaine et le petit appartement était
idéalement placé entre les
commerces et la plage.
Les femmes passaient donc le plus clair de leur temps entre
séances de bronzette et shopping. Je préférais généralement de mon côté un bon
livre dans un fauteuil installé sur la terrasse avec un verre de Chianti. Nous
nous retrouvions en fin de journée avant d’aller dîner au restaurant. Tant bien
que mal, on aurait dit que nous ressemblions à une vraie petite famille, même
si je sentais que Josiane gardait sa réticence. Pour ma part, je persistais à
trouver sympathique la jolie rouquine aux yeux verts. Elle avait une façon de
me sourire quand elle me parlait qui me rappelait les frissons de mes jeunes
années. Je
pensais qu’elle essayait de se rendre sympathique aux yeux de son beau-père,
puisque Josiane gardait ses distances avec elle. Mais quand j’ai senti, un soir
au restaurant, son pied frotter mon tibia sous la table, son regard m’indiqua
qu’elle ne m’avait pas confondu avec Mélanie.
Le
lendemain, veille de notre retour à Bruxelles, elle se trouva malade. Un début
d’insolation, disait-elle, et il valait mieux éviter le soleil. Elle resta donc
à la maison avec moi. Elle n’ignorait pas que Mélanie et
Josiane étaient parties au moins pour la matinée. Trois heures en tête-à-tête,
c’est plus qu’il n’en faut quand on sait ce qu’on veut. Moi, je ne savais pas
tout à fait ce qu’elle voulait. J’aurais mieux fait de le savoir sans doute, mais
je n’ai vu que la lumière qui brillait dans ses yeux verts, et j’ai fait ce que
font les hommes quand ils voient cette lumière. J’eus à peine le temps de me
rendre compte de ce qui était arrivé que nous étions déjà dans l’avion qui nous
ramenait à notre quotidien.
Après ces vacances, nous ne les vîmes quasiment plus.
Mélanie passait en coup de vent,
généralement seule. Josiane déprimait, se languissait de sa petite fille, et
moi, j’oscillais entre remord —léger— et nostalgie. Ce n’est qu’hier, après six
semaines qu’elle se sont invitées à dîner. Elles étaient lumineuses, surtout
Mireille. Et là, Josiane a touché le fond : Elles nous ont joyeusement annoncé
qu’elles attendaient un enfant. « Je
suis enceinte » a précisé Mireille en fixant sur moison sourire et ses yeux verts.
Quand elles furent parties, je n’ai pas osé consoler Josiane et lui expliquer
qu’après tout, ça ne sortait pas de la famille.
C’est drôle, finalement, je ne suis plus sûr de toujours
aimer autant ma belle-fille.
vendredi 2 janvier 2015
Dimanche d’été sur les balcons et terrasses à l’intérieur d’un pâté de maisons bruxellois.
Une dame met à sécher le linge de la famille aux
fils tendus entre deux murs.
Un vieil homme sourit à ses plantes. Le chèvrefeuille a particulièrement bien fleuri, cette année.
Des amis préparent un barbecue.
Des oiseaux se disputent les miettes abandonnées sur le muret.
Une querelle familiale, des cris, des pleurs.
Trois éternuements violents, et puis des rires.
Une jeune fille en bikini jaune se badigeonne à l’antisolaire.
Un jeune homme fait admirer ses plants de cannabis à ses amis.
Un couple d’âge mûr prend le soleil. Elle lit un essai philosophique; lui, un polar.
Un chat évalue ses chances d'atteindre les oiseaux depuis son perchoir. Elles sont nulles. Il continue néanmoins de les observer.
Un garçonnet enjambe la balustrade du quatrième étage.
Une petite fille a enfermé dehors sa grand-mère qui alterne menace et cajolerie pour se faire ouvrir la porte.
Des bouchons sautent et le mousseux remplit les verres.
Un fils installe une parabole pour sa mère qui le noie sous les recommandations de prudence et d'efficacité.
Un homme équipé de jumelles épie sa voisine.
Trois enfants jouent avec des pistolets à eau. Une femme leur rappelle la règle : "pas dans la maison".
Un homme fume une cigarette puis cède sa place à sa femme. À l’intérieur, le bébé pleure.
Deux jeunes gens s'embrassent langoureusement puis disparaissent à l'intérieur.
Les oiseaux s’envolent, le chat reste là.
Le garçonnet saute en silence.
Sur une table, sous un parasol, un verre de limonade et un dessin inachevé.
Un guitariste s’essaie à jouer « Tears in heaven ».
Un mouvement de fenêtre renvoie fugitivement un rayon de soleil sur le chat qui sursaute.
Une femme hurle.
Une toupie en fin de course trébuche et s’affale.
Tout le quartier sent la viande grillée et les épices.
À la télévision, une équipe de foot marque un goal.
Des sirènes retentissent au loin, s’approchent, puis se taisent.
La guitare se tait.
Un à un, tous les personnages se taisent.
La grand-mère reste figée sur sa terrasse.
L’homme aux jumelles abandonne la jeune fille en bikini jaune.
Le mousseux tiédit dans les verres.
Un policier regarde en contrebas.
Le chat disparaît dans le silence.
Un vieil homme sourit à ses plantes. Le chèvrefeuille a particulièrement bien fleuri, cette année.
Des amis préparent un barbecue.
Des oiseaux se disputent les miettes abandonnées sur le muret.
Une querelle familiale, des cris, des pleurs.
Trois éternuements violents, et puis des rires.
Une jeune fille en bikini jaune se badigeonne à l’antisolaire.
Un jeune homme fait admirer ses plants de cannabis à ses amis.
Un couple d’âge mûr prend le soleil. Elle lit un essai philosophique; lui, un polar.
Un chat évalue ses chances d'atteindre les oiseaux depuis son perchoir. Elles sont nulles. Il continue néanmoins de les observer.
Un garçonnet enjambe la balustrade du quatrième étage.
Une petite fille a enfermé dehors sa grand-mère qui alterne menace et cajolerie pour se faire ouvrir la porte.
Des bouchons sautent et le mousseux remplit les verres.
Un fils installe une parabole pour sa mère qui le noie sous les recommandations de prudence et d'efficacité.
Un homme équipé de jumelles épie sa voisine.
Trois enfants jouent avec des pistolets à eau. Une femme leur rappelle la règle : "pas dans la maison".
Un homme fume une cigarette puis cède sa place à sa femme. À l’intérieur, le bébé pleure.
Deux jeunes gens s'embrassent langoureusement puis disparaissent à l'intérieur.
Les oiseaux s’envolent, le chat reste là.
Le garçonnet saute en silence.
Sur une table, sous un parasol, un verre de limonade et un dessin inachevé.
Un guitariste s’essaie à jouer « Tears in heaven ».
Un mouvement de fenêtre renvoie fugitivement un rayon de soleil sur le chat qui sursaute.
Une femme hurle.
Une toupie en fin de course trébuche et s’affale.
Tout le quartier sent la viande grillée et les épices.
À la télévision, une équipe de foot marque un goal.
Des sirènes retentissent au loin, s’approchent, puis se taisent.
La guitare se tait.
Un à un, tous les personnages se taisent.
La grand-mère reste figée sur sa terrasse.
L’homme aux jumelles abandonne la jeune fille en bikini jaune.
Le mousseux tiédit dans les verres.
Un policier regarde en contrebas.
Le chat disparaît dans le silence.
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