lundi 28 novembre 2011

Rosa

Dans le fond, c'est la fatalité. Rien d'autre. S'il n'avait pas lu son horoscope ce jour-là, le fils du procureur Demannet serait encore vivant. "Amour : ambiance cordiale". Tel était le programme qui s'offrait à lui. Il ne lui en fallait pas plus pour sauter dans sa Porsche… et aller aux putes. Roger, c'est son nom, n'a jamais su y faire avec les filles alors : l'avenue Louise… L'avenue Louise, par ces belles soirées d'été, on peut y rouler au pas. L'air faussement vacancier. On fait semblant de ne pas regarder les filles, et on ne voit qu'elles. On les entend aussi : "Chéri, tu m'emmènes ?" Un vague regard, Chéri a le choix : une rousse, une blonde, fausses toutes les deux. Il passe son chemin. Il a déjà son idée : Rosa, Une petite Bulgare qu'il s'était levée la dernière fois. A peine dix-huit ans. Rosa …

Après la passe, il lui avait dit que son père était procureur. D'abord, ça l'avait effrayée. Procureur, ça sent l'accusation, la condamnation, l'expulsion. Il lui avait alors expliqué - avec des mots simples- que ça pouvait aussi arranger certaines affaires. Elle ne comprend pas bien le français, Rosa, mais elle avait demandé : " Des papiers en règle ? ". Oui, des papiers en règle, ça pouvait se faire. Alors, elle a de nouveau été très gentille avec lui. Et sans supplément. En partant, il lui a promis des nouvelles. Et puis, il a oublié. Bah ! Il lui dirait que c'était en cours.

C'est au croisement de la rue Defaqz qu'il l'a vue. Il s'est arrêté. Il lui a fait signe. A partir de là, tout a été très vite. Elle a fait un signe aussi, mais en regardant ailleurs, puis elle n'a plus bougé. Du coin opposé a surgi ce type en costume strict. Droit sur Roger. Arrivé à sa hauteur il a sorti un 6,35 et lui a tiré deux balles dans la tête, sans lui laisser la moindre chance. Le mac de Rosa, ça ne lui avait pas plu cette histoire de papiers en règle.

Et l'horoscope précisait : "Santé : fortes migraines".

On ne va pas contre le destin…

Samantha

Ce jour-là comme tous les autres jours, Samantha ouvrit les yeux avant la sonnerie du réveil. Ce matin-là, pourtant, il n’indiquait pas sept heures et demie, mais bien cinq heures et quart. Samantha se redressa sur son lit et eut très vite l’intuition que quelque chose manquait. Du regard, elle inspecta sa chambre sans parvenir pourtant à identifier l’objet de son malaise. Ce n’est que lorsqu’elle voulut réveiller Sacha qu’elle se rendit compte que la place à côté d’elle était vide. Elle alluma.

- « Sacha, Sacha ? »

Jamais en 25 ans de mariage, Sacha ne s’était levé à cinq heures du matin pour aller pisser ou manger un reste de gefilte fish dans le frigo, il ferait beau voir ! Assise au bord du lit, Samantha attendit la réponse un moment, guettant les bruits de la maison avant d’enfiler son peignoir et descendre au salon.

La maison était silencieuse. Vide ? Une sourde angoisse la saisit. Elle remonta et ouvrit doucement la porte de la chambre d’Antoine, son cadet dont la respiration asthmatique remplissait ordinairement l’espace. Silence. Elle alluma : le lit était vide. Elle ne doutait pas que celui de Nora le fût également, elle n’en inspecta pas moins sa chambre et par la suite toutes les autres pièces de la maison où chaque coup d’œil lui renvoyait son isolement. Dans la nuit encore présente de ce mois d’octobre, Samantha se sentait comme sur une ile déserte. Une bouteille à la mer pensa-t-elle. Mais oui : téléphoner ! Mon gsm ! Retour au salon. Mais le portable n’était pas dans le sac à main. De nouveau, elle fouilla à droite, à gauche, ouvrant des tiroirs improbables, exhumant des trésors oubliés jusqu’à ce que l’implacable vérité s’impose à elle : on avait kidnappé sa famille, on lui avait volé son gsm, tout contact avec l’extérieur était interdit. Sortir, appeler au secours ! À cet instant de ses pensées, elle se trouvait dans sa chambre. Elle se précipita vers l’escalier mais, marchant sur la ceinture de son peignoir défait, elle trébucha et dégringola les seize marches jusqu’au carrelage glacé du hall d’entrée.

Il était sept heures trente quand Sacha, Antoine, Nora et Max, les bras chargés de fleurs glanées au marché du Midi entrèrent dans la maison en chantant : « Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire... » Ils trouvèrent le cadavre de Samantha au bas de l’escalier dans une pose grotesque, baignant au milieu d’une mare de sang tandis que dans la chambre, le réveil commençait à sonner.