vendredi 14 décembre 2012

oulipique et calligramme


Ris !
L’été,
Il te réchauffe.
Et tes vieux rhumatismes,
Ils s’envolent au loin.
Comme Icare au soleil, ils meurent.
La vie renait en toi comme jamais.
Chacun de tes membres est une branche nouvelle,
Tu sens leur force pleine de sève.
Tes pieds plantés dans la glaise,
Tu les en as arrachés.
Tu cours, tu proclames 
Face au ciel :
« Ambulo, ergo
Sum. »

samedi 17 novembre 2012

Du temps...


C’est un drôle d’hiver
Qui ressemble à l’automne
Une saison délétère
S’écoulant monotone

C’est un drôle de printemps
Qui ressemble à l’hiver
Mais c’est un drôle d’hiver
Sans neige pour les enfants

C’est un drôle d’été
Qui ne ressemble à rien
Qu’à un wagon plombé
En route vers quel destin

Parlez-moi du temps qu’il fait
Et de la couleur des arbres
Dites-moi de quels méfaits
Nous punit ce ciel de marbre

C’est une drôle de vie
Au passé oublié
Au présent qui s’ennuie
Au futur menacé

C’est un drôle de voyage
Plein de tours et détours
C’est un drôle de voyage
Sans espoir de retour

C’est un drôle de jeu
On perd à tous les coups
Et pourtant on en veut
On essaie jusqu’au bout

Parlez-moi du temps qui passe
Et de celui qui nous reste
Dites-moi sur quelles traces
Il s’en va d’un pas si leste

Parlez-moi de temps en temps
Qu’à la fin je me souvienne
Du bonheur d'être vivant
De ma condition humaine


lundi 12 novembre 2012

Au pied du mur

– Tu ne dis rien ?
– ...
– Je vois bien que tu m’en veux.
– ...
– Pourquoi tiens-tu à savoir comment elle s’appelle ?
– ...
– ... Moenia.
– ...
– Moche ? C’est un prénom comme un autre, c’est tout.
– ... 
– Une salope ? Ça, je t’interdis de...
– ...
– Évidemment que je l’ai regardée. 
– ...
– Ouiii, bien regardée. D’ailleurs, toi aussi tu l’as vue, tu ne lui trouves pas un petit quelque chose ?
– ...
– Non, tu déformes mes mots ! Je ne veux pas que vous...
– ...
– Non, ça ne m’exciterait pas ! Tu es méchant, tu me fais du mal !
– ...
– Oui,... je sais que je t’en ai fait aussi.... Ça ne se reproduira plus, je te le jure.
– ...
– Essaie de comprendre. Il y avait la musique, on a dansé, on a bu. J’étais soûl. J’étais comme... envouté, voilà.
– ...
– Je sais bien que ce n’est pas une excuse. C’est simplement... un concours de circonstances. C’est un accident.
– ...
– Écoute, j’essayais simplement de t’expliquer comment ça a pu se passer. Ne me regarde pas comme ça, tu me stresses ! Tu peux m’écouter deux secondes ? 
– ...
– Merci. Bon, d’habitude, je danse mal. 
– ...
– Oui, merci de me le rappeler!... Mais là justement, chacun de nos pas s’accordait l’un à l’autre, et nos regards ne se quittaient jamais. Et finalement, nos bouches...
– ... 
– Mais non, ce n’est pas vulgaire !
– ....
– Qu’est-ce qu’elle a de plus que toi ? Elle a... des seins ! Et des fesses ! C’était tout en rondeurs. Et puis, elle sentait bon...
– ...
– Je n’ai pas dit ça ! Bien sûr que tu ne pues pas !
– ...
– Ah, non ! Je te jure que j’ai pris mes précautions. Et puis, qu’est-ce que tu risques ? La mérule ?
– ...
– ...
– ...
– Tu sais bien que c’est toi que j’aime. 
– ...
– Comment ça ? Si, comme avant, comme toujours ! J’ai besoin de toi.
– ...
– J’aime ... ta force, ta droiture, ton équilibre. Je sais que je peux m’adosser à toi ; tu ne flanches jamais. J’aime la moindre de tes aspérités, même ta rugosité sous mes doigts. Tu me rassures. Avec toi, je n’ai jamais trop chaud, ni trop froid. Tu m’as toujours protégé. Je ne pourrais pas me passer de toi.
– ...
– Mais non, ce n’est pas purement physique !
– ...
– Elle, c’est différent.
– ...
– « C’est », « c’était », quelle importance ?
– ...
– Mais tu m’énerves à la fin. Qu’est-ce que tu veux ? M’enfermer ici pour toujours ?
– ...
– Et bien si ! Je pourrais très bien la rejoindre maintenant. On n’est pas mariés après tout !
– ...
– Oui, elle est jolie. Et sensible, et intelligente. Parfaitement ! Et toi, toi, tu es un peu... un peu brut de décoffrage. Mais c’est ce qui fait ton charme. 
– ...
– Ne dis pas de bêtises. Tu ne ferais pas ça. 
– ...
– Cesse ce chantage stupide. Tu ne crois quand même pas que je vais marcher là-dedans.
– ...
– Je n’ai pas dit que tu n’étais qu’une brute, ni qu’un... Mais qu’est-ce que tu fais ? Non ! Arrête !

Pesamment, lentement, le mur s’effondre sur lui-même dans un nuage de poussière. L’homme reste seul, nu et désemparé devant le tas de briques. Il pleure. Le téléphone sonne. Il décroche, c’est elle. Il hurle :

– Salope !

............................................Noir cut............................................

dimanche 28 octobre 2012

amour à mort


C’est trop
Trop de monde
Je ne peux pas me montrer comme ça, avec mes yeux rouges
Ils m’attendent avec mes yeux rouges et mes joues rongées par la mort
Au moins, qu’ils ne voient pas mon ventre, ni sa maigreur, ni la rage qui le ronge
Oh non, qu’ils ne voient rien de ma maigreur
J’ai mis des vêtements bouffants
Je ne peux quand même pas mettre une cagoule pour me cacher !

Ils m’attendent et je n’ai rien à leur dire
La lumière m’agresse et leur gentillesse me saute à la gorge
Je vous en prie
Ne soyez pas gentils avec moi
Si vous voyiez mon ventre et mes bras squelettiques
Vous n’auriez pas envie d’être gentils
Pourquoi êtes-vous si gentils ?

Je sors de mon lit comme j’y rentre
Fatiguée, épuisée
Les draps sont mouillés quand je me lève
Ils sont sales quand je me couche
Il doit y en avoir, des cauchemars pour laisser ces traces
Je ne m’en souviens pas
Où sont mes rêves ?
Je ne demande pas grand-chose
Où sont mes rêves ?
Qu’est-ce que j’ai fait de mes désirs ?

Dans ce miroir, c’est moi ?
D’où sort ce pendentif ?
Cadeau ?
De qui ?
De moi ?
De ... ? De... ?
Mais qui était-ce !!?
Et pourquoi est-il parti avec ce morceau de mon ventre ?
Et ce pendentif ridicule, c’est le prix de ma douleur ?

Miroir, mon beau miroir, dis-moi combien j’ai de cheveux blancs
Dis-moi combien de temps il me reste à attendre avant le grand sommeil

Il me dit que je suis pâle comme un suaire et que les yeux me rentrent dans les orbites

Du rouge
Oui, je vais mettre du rouge
Oh, pourquoi est-ce que je tremble comme ça ?
Voilà
Ah oui, le rouge et le blanc, c’est parfait
Je suis parfaite
Parfaitement grotesque
Ils attendront !

Ils sont gentils
Ils attendront
Dormir
Dormir dans mes draps sales et froids
Dans ma chambre nue
Mon dernier rempart
Je n’ai pas sommeil
Je veux juste dormir


lundi 15 octobre 2012

Sweet ligne 50 A (terminus)


Pour les nouveaux arrivants, le début de ce récit se trouve à l'adresse suivante:
http://robertguilleaume.blogspot.be/2012/08/la-ligne-50-a.html
et le deuxième épisode sur
http://robertguilleaume.blogspot.be/2012_09_12_archive.html 
Ceci est donc la troisième partie. Bonne lecture...

Je restai un long moment dans l’encadrement de la porte, à la contempler. Le visage tourné vers le côté, elle arborait toujours ce même sourire épiphanique. Le takak familier s’estompait, laissant place au souffle discret de sa respiration qui soulevait son chemisier à intervalles réguliers. Elle était bien aussi belle que ce que notre brève entrevue administrative m’avait laissé voir. Charmé, bien sûr j’étais, mais inquiet : il s’en fallait de peu pour briser la magie de cet instant et je me retenais de bouger, de me pincer.
Pourtant, je ne rêvais pas ; la preuve, c’est qu’elle se réveilla, et que sans hésiter, elle leva les yeux et son sourire sur moi.
 J’ai failli attendre louis-quatorza-t-elle.

C’était la première fois que je l’entendais parler, et chacun de ses mots était comme un temps d’un tango incertain, une note de Bach sur un bandonéon.
- Heu, je cherchais les toilettes, dis-je pour dissimuler mon trouble.
- Ne dites pas de bêtises, c’est moi que vous cherchiez. Vous ne le saviez pas ?
Non. À ce moment, je ne savais plus ce que je savais ou pas. Ni si je devais ou non regretter mon café abandonné sur le quai de la gare du Midi parmi les navetteurs pressés ; mes rêves iodés de châteaux de sable et de bière épaisse, et les apaisants règlements de comptes de Manchette. Sans s’inquiéter de mes pensées, la Belle au wagon dormant s’étirait, se levait, et chaussait ses escarpins. « Venez » fit-elle. Et me prenant par la main, elle m’entrainait vers la tête du convoi. La journée était déjà bien avancée. Je hasardai :
- Dites-moi, nous serons bientôt arrivés ?
- Vous allez bien à Ostende ?
- Précisément, il me semble que l’on aurait déjà dû…
- Voyons M. Girault, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ; la SNCB est moderne, mais pas futuriste. Nous n’en sommes pas encore à voyager dans l’hyper-espace, vous savez ?
Ainsi donc, nous n’étions pas dans l’hyper-espace. Sans doute devais-je ainsi me sentir rassuré ? Le train roulait et nous marchions vers l’avant, la belle guidant mes pas. De wagons en wagons, nous traversions des jardins à la française, des bibliothèques, des musées de la trottinette et du parapluie... Dans un wagon cinéma, on diffusait « Playtime », et dans un wagon verger, elle s’arrêta pour y cueillir des pommes. C’est au moment d’y croquer que je me rendis compte que, quelques lignes auparavant, elle m’avait appelé par mon nom. Comme je lui demandais comment cela se faisait, elle me considéra d’un air navré et compatissant, comme une institutrice confrontée au plus benêt de ses élèves. « Allons, il nous attend » fit-elle, éludant ma question. Je n’osais demander qui, de peur de passer encore pour un idiot. Elle surprit néanmoins mon interrogation et consentit, chemin faisant, à y apporter une réponse :
- Vous n’ignorez quand même pas que le chef de train est seul maître à bord ; rien ne peut se faire sans son approbation. D’ailleurs, nous arrivons.
Nous étions face à une massive double porte en bois, soutenue par des charnières en fer forgé. Je m’attendais à devoir m’y arcbouter pour l’ouvrir ; les battants bougèrent d’une simple poussée, dévoilant une nef monumentale au bout de laquelle je distinguai ce qui devait être –enfin– le poste de pilotage. Ma belle poinçonneuse sembla d’un coup plus circonspecte, et c’est d’un pas moins vif que nous avons repris notre marche. Nous baignions dans la lumière multicolore de vitraux figurant l’âge d’or de la navigation ferroviaire. Tout au bout, sur une estrade, se tenait debout et les mains sur son pupitre, un homme fixant l’horizon à travers une baie vitrée. Nous arrivâmes à sa hauteur. Il tourna la tête sans surprise apparente. Il me désigna d’un regard, et s’adressant à ma contrôleuse, il demanda : « C’est lui ? » Elle acquiesça. Il marmonna alors quelque chose de l’ordre de l’incantation et de la prière à quoi ma contrôleuse chanta plus qu’elle ne parla : « oui ». Il reprit son grommelot d’où sembla émerger mon nom. À tout hasard, je répondis « oui ? ». Il eut encore quelques mots incompréhensibles, puis se remit à fixer l’infini où se rejoignent, paraît-il, les lignes parallèles.
Je sentis une main prendre la mienne et m’entrainer en arrière. Nous fîmes en sens inverse tous le chemin parcouru depuis que je l’avais trouvée dans sa couchette. Le soleil déclinait ; allais-je enfin connaître la fin de mon roman ? Elle entra dans son compartiment et me dit : « Attendez-moi là ». Par les fenêtres du couloir, je pouvais voir les blés mûrs qui ondulaient sous la brise d’automne, en attendant la moisson. Et je pensais, non sans mélancolie, que mon chemin allait bientôt se séparer de celui de ma fonctionnaire. C’est alors qu’elle m’appela :
- Vous pouvez entrer.
Je fis coulisser la porte. Elle était sur le lit, telle que je l’y avais vue la première fois, mais elle n’avait plus pour l’habiller que ses yeux et son sourire. Elle était somptueusement belle, et comme une déesse de Série Noire, elle m’offrait de résoudre toutes ses énigmes. 
- Vous venez ?
« Est-ce bien raisonnable ? » m’inquiétai-je. « Après tout, nous nous connaissons à peine. »
- Enfin M. Girault, insista-t-elle, nous sommes mariés, l’oubliez-vous ?
 ... ?
- Tout à l’heure, vous avez bien répondu « oui » quand le chef de train a béni notre union. Et je m’appelle désormais Amaranta Buendia-Girault. Allons, ne me faites plus attendre. Le train a déjà pris suffisamment de retard comme ça.
C’était vrai : j’avais déjà suffisamment pris de retard. Adieu châteaux et cerfs-volants. Je m’approchai du lit tandis que notre convoi s’enfonçait dans un long tunnel et la nuit nous enveloppa.
Mon sommeil fut peuplé de visions marines, de crabes contrôleurs aux prises avec des serpents de mer dans des profondeurs abyssales. Le jour se levait lorsque le train sortit d’une vague océane pour aller buter doucement contre un heurtoir de gare. Amaranta m’avait poinçonné toute la nuit et j’en étais fourbu. Mais j’avais bien fait de partir tôt : J’allais enfin découvrir Ostende, cette charmante station balnéaire perdue sur la côte atlantique de l’Argentine.

samedi 29 septembre 2012

Christian


Pour les nouveaux arrivants, ce texte est la dernière (?) partie d'une galerie de 3 portraits. Les deux autres s'appellent "Marianne" et "Laurent", publiés précédemment sur ce même blogue.


La vie est vraiment merdique pensa Christian. Après un temps, il précisa sa réflexion: et la mort ne vaut pas mieux. Il nota la phrase dans le petit carnet où il consignait ses réserves de bonheur et de désespoir pour une œuvre à venir.
Il avait eu le temps de voir se décomposer le visage de cette femme qu’il avait passée à la mammographie une heure auparavant, quand Geneviève Ballard lui avait annoncé ce que les images révélaient. Pendant la séance de radios, il l’avait trouvée très belle, très digne et extrêmement émouvante dans sa façon d’être nue. Il y avait dans ses gestes une sensualité douce, comme une mère qui s’apprête à donner le sein à son petit. Une Madone triste. Il s’était dit que s’il l’avait croisée par hasard à la terrasse d’un bistrot, s’il était libre, et surtout s’il ne lui savait pas cette tache noire sous la peau... c’était bien le genre de femme à qui il offrirait un café, comme ça, parce qu’il la devinait belle derrière sa tristesse. Il s’était dit pour finir, qu’à défaut de café, il lui enverrait un de ses poèmes, un de ceux qui parlent de bonheur et de vie. C’était contraire aux règles, à la déontologie, mais il s’en fichait. De toutes façons, il ferait ça anonymement ; le secrétariat avait ses coordonnées. Un peu de baume sur ce sein meurtri.
« S’il était libre... » Mais il ne l’était plus, depuis au moins 8 semaines. De ce genre de prison qu’on cherche tous plus ou moins. La sienne s’appelait Natacha. Elle aussi, il l’avait rencontrée à l’hôpital : elle s’était brisé le majeur. Il avait osé la charrier  :  « En faisant quoi ? » C’était de l’humour de carabin, mais elle avait ri : elle sortait presque des études. Il arriva ce qui devait arriver, et Christian avait le sentiment de vivre un authentique coup de foudre et une passion amoureuse comme il n’en avait plus connue depuis Sophie. Ce qui le ramenait à l’école primaire ! 
Natacha avait 3 ans de moins que lui. Elle était belle comme un chat, dont elle avait la démarche sensuelle, la fierté et la nonchalance. Elle s’était racontée : son enfance, ses études, son job dans les énergies renouvelables. Et Laurent. Elle avait été d’une franchise étonnante à ce sujet. Et d’une certaine cruauté aussi, quand elle décrivait son amant du jeudi : « Un peu con, pas vraiment une affaire au lit, mais gentil ». Christian demanda : 
- « Pourquoi avoir continué la relation, alors ? 
- Peut-être que je suis un peu con, moi aussi ? Tu sais, j’étais seule. C’est bizarre, mais c’est une forme de confort affectif, même si c’est surtout un plan cul. Enfin, ça l’est devenu. Au départ, je croyais qu’il y avait quelque chose à construire avec lui, mais quand je lui ai dit que je voulais des enfants, il m’a baratinée un discours de vieux. Et puis, il y a sa femme. Je crois qu’il l’aime quand même, à sa façon... un peu con. »
Des enfants. C’était venu tout de suite sur le tapis, enfin, sous l’édredon. Christian n’était pas contre mais...
- Je suis stérile, avoua-t-il. Au pire, ce que tu pourrais attraper avec moi, c’est une MST.
- On s’arrangera, répondit-elle sans hésiter, confirmant d’une même phrase son désir de lui et son désir d’enfants.
« L’arrangement » lui apparut rapidement, et quand elle l’expliqua à Christian, celui-ci n’eut pas trop de peine à l’accepter. D’une façon ou d’une autre, il se savait à la merci d’une « aide extérieure ». Ils avaient donc convenu que le jeudi après-midi resterait encore pour un temps une plage entre parenthèses. Pour les suivants, ils utiliseraient des moyens plus orthodoxes, mais « maintenant, c’est maintenant ! » avait-elle conclu. Ils étaient d’accord : Laurent ne saurait jamais rien, et elle romprait dès que... Et voilà, ils s’installèrent dans leur amour à raison de six jours et demi par semaine, en attendant mieux. 
Ils n’en parlaient pas, mais petit à petit, cet enfant tant désiré par Natacha prenait sa place dans les rêves de Christian. Et il commençait à trouver le temps long. On était précisément jeudi, il crachinait d’un sale petit crachin et Christian venait de se payer une tranche de misère humaine. La vie est vraiment merdique, pensait-il encore lorsque son téléphone sonna. C’était Nat.
- Chris, hurla-t-elle si fort que Christian dut éloigner l’appareil, c’est positif !
- Qu’est-ce qui est positif ? demanda-t-il, toujours plongé dans sa mélancolie.
Il n’avait pas compris tout de suite qu’elle était enceinte. Il savait pourtant qu’elle aurait le résultat du test aujourd’hui. Finalement, le déclic se fit.
- Où es-tu ? C’était à deux pas. Ils se retrouvèrent cinq minutes plus tard. Ils sautèrent, dansèrent, coururent, bousculant les passants, défiant les hordes d’automobilistes. Ils ne savaient pas où ils allaient, mais ils y allaient d’un bon pas, insouciants de ce qu’ils laissaient derrière eux. Enfin, pas tout à fait pour Christian qui lâcha : « Bon, maintenant tu largues ton Laurent. » Elle obtempéra, mais décida de le faire en douceur en envoyant un message « soft » par sms ; la suite viendrait plus tard. Christian commença à lui parler de cet appartement qu’il avait repéré, super bien situé, avec deux chambres lorsqu’il entendit ces hurlements derrière lui. Ils se retournèrent, et il vit ce type bouche bée, au regard halluciné. « Un dingue » pensa Christian, et il entraina Natacha vers le solstice d’été, époque probable de son accouchement.

jeudi 20 septembre 2012

dimanche 16 septembre 2012

La vie imite l'art


François s’était mis à peindre sur le tard. Affrontant bravement sa honte de ne pas y connaître grand-chose, il s’était inscrit à l’académie de son quartier. Il savait ce qu’il voulait : le cadre, la toile, le chevalet, la peinture à l’huile... Il commença pourtant comme tout le monde par apprendre par quel bout se tient un fusain. Au bout de quelques années, il se sentit assez sûr de lui pour inaugurer le matériel acheté dès le début chez le spécialiste. Il s’adonnait à la peinture comme d’autres à la pêche à la ligne : elle était oubli et méditation. Il ne négligeait pourtant pas le sérieux de la chose, et s’était abonné à diverses revues enseignant l’histoire et la technique. Sur les conseils de Rosalie, qui s’enorgueillissait d’avoir un mari artiste, il avait même sacrifié les revenus que leur procurait la petite chambre d’étudiant afin d’y aménager un atelier qui bénéficiât d’une bonne lumière naturelle. Il y peignait des natures mortes, ou retouchait les paysages saisonniers commencés lors d’escapades dominicales dans des coins préservés de sa petite banlieue. C’était l’essentiel de sa production. Il avait peu goûté, à l’académie, l’exercice du nu ou même du portrait, qui demandaient une rapidité d’exécution et une aptitude à pénétrer l’intime du sujet dont il se sentait incapable.  
Rosalie le poussait à exposer, mais il savait n’être qu’un petit peintre du dimanche, besogneux, sans intérêt et sans postérité. Quelques-unes de ses toiles ornaient les salons de leurs connaissances –Rosalie tenait beaucoup à ces cadeaux si personnels-, la plupart finissait dans des caves en attendant la brocante. Lui-même en récupérait beaucoup pour en faire de nouvelles.

Elle avait beaucoup insisté pour qu’il peignît son portrait ; un peu plus qu’il n‘avait résisté. Il avait eu beau lui répéter que ce n’était pas son fort, qu’il allait la rater, l’enlaidir même, il avait cédé. Avaient alors commencé les séances de pose où Rosalie, toute pimpante et guillerette, prenait place sur la tablette habituellement réservée aux pots de fleurs et aux compositions diverses.

Elle n’avait jusque là eu que des éloges pour le travail de François. Beau, joli, étaient ses adjectifs favoris pour le qualifier, surtout en présence des amis. Cependant, son enthousiasme s’émoussa vite face à la patience que nécessitait l’exécution de l’œuvre, et son admiration fit place à de l’étonnement : « Penses-tu vraiment que mes oreilles soient si décollées ? Est-ce que je n’ai pas un peu l’air de loucher ? » Encore heureux qu’elle ne lui ait pas demandé un nu ! François retouchait, retouchait sans fin, étalant au couteau, précisant au pinceau et pour finir, remettait au lendemain. « La lumière n’est plus suffisante » prétextait-il.
Les séances s’accumulaient ; il s’énervait : « Tu as bougé ! Comment veux-tu que je travaille dans ces conditions ? » Elle rétorquait qu’il ne lui fallait pas autant de temps pour peindre ses pots de fleurs. Ils se disputaient ; puis se rabibochaient. Mais la peinture n’était plus sérénité pour François. Il annonça son intention de ranger définitivement ses pinceaux. Rosalie s’en voulut. « Essaie encore, une dernière fois. Si ça ne va pas, je n’insisterai plus. » À contrecœur, il accepta de remonter dans la mansarde avec elle, et il reprit ses outils. À la faveur d’une pause, elle vint constater l’avancement : « Ce rouge-là pour les lèvres, tu crois vraiment ? » Il était en train de nettoyer son couteau. En une demi seconde, celui-ci fut dans la gorge de Rosalie, lui tranchant la carotide. Elle s’effondra en gargouillant dans le fauteuil, où elle succomba quelques instants plus tard. D’un air hébété, François contempla un moment le corps inerte qui ressemblait à une vieille poupée. Alors il installa une nouvelle toile sur son chevalet pour en commencer l’esquisse au fusain.
Le tableau, qu’il intitula « Rosalie en nature morte », eut un grand succès de presse, à la rubrique « faits divers ».


Illustrations © Gilles Brault





samedi 15 septembre 2012

Laurent


Pour avoir le feu vert à l’extrémité de la rue, deux options se présentaient à Laurent : soit rouler à 40 km/h, soit dépasser le 70. La présence de nombreux policiers dans ce quartier d’ambassades et institutions diverses rendait la deuxième option risquée. Quant à la première, Laurent ne pouvait tout simplement pas se résoudre à rouler quasiment au pas sur 300 mètres. Il roulait donc un peu au dessus du maximum autorisé en se préparant à décélérer au feu. Finalement, il faisait comme tout le monde : il jouait à l’accordéon. Tout en conduisant, il pianotait sur son smartphone « Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » Mais il hésitait à envoyer le message à Marianne ; elle serait capable de l’envoyer faire les courses ! Laurent avait pourtant bien envie d’un petit plat fin. Du basilic ? Des champignons ! Des girolles, avec des lardons et de la crème sur des magrets de canard ! Il se sentait généralement plein d'appétit après son petit extra du jeudi, jour de son cinq à sept avec Natacha.
Natacha... Il avait fait sa connaissance alors qu'elle était stagiaire au bureau. Il s’était fait un plaisir de la guider –et de la suivre !– dans les méandres du cinquième étage avant d’intriguer auprès de la cheffe de service pour que l’évaluation du stage lui échût. Celui-ci s’était évidemment bien passé et Laurent lui avait bien évidemment concocté un rapport élogieux. Elle avait ainsi obtenu grâce à lui, un emploi prometteur. C’était au printemps de l’année passée, et après quelques épisodes hôteliers, voire plus scabreux, ils en étaient venus à se retrouver au rythme d’un après-midi par semaine dans le petit 35 m2 de Natacha. Ils s’étaient même offert deux ou trois week-ends à la campagne, sous couvert de « team buildings payés par la boîte ». Et voilà : Laurent avait une maitresse. Il aimait ce nom de « maitresse », ça lui avait un parfum d’aventure et d’interdit, et un petit goût de luxe aussi : Lui, il avait deux femmes ! Et tout à son aventure, il nageait en plein bleu, même s’il avait déjà failli se disputer avec sa « petite stagiaire » –c’est comme ça qu’il l’appelait– lorsqu’elle montra un peu trop d’empressement à le voir divorcer d'avec « cette femme qui ne le rendait pas heureux et qui ne lui avait pas donné d'enfant », alors qu’elle, voulait lui en donner un, voire plusieurs. Mais il lui avait fait comprendre qu’elle était encore jeune, qu’ils avaient le temps. Il s’était senti très sûr de lui, très mâle protecteur, adulte qui sait, face à la jeune fille encore pleine des rêves de son printemps. Et il l’avait convaincue, sans devoir mettre dans la balance le trouble que lui causait l’idée d’affronter la responsabilité de la détresse de Marianne, ni surtout lui avouer que la paternité ne lui avait jamais manqué jusqu’ici.
Marianne, elle, ne se doutait de rien. « Jusque quand ? » pensait-il parfois avec angoisse. Son horaire d’institutrice lui laissait assez de temps pour gérer le ménage et sortir avec ses copines et Laurent se plaisait à l’imaginer heureuse et épanouie dans le mariage comme dans sa vie professionnelle. Hormis quelques soirées avec les amis de leurs vingt ans ou des sorties au cinéma, ils ne partageaient plus grand-chose, mais après tout, c’était le lot commun de nombreux vieux couples. Se rassurant ainsi à peu de frais, il pouvait de nouveau se satisfaire de sa double vie : une femme comblant sa libido et son égo, l’autre assurant sa respectabilité sociale, sans oublier ses talents de cuisinière...
Les yeux fixés sur son écran, il n’a pas vu que l’Audi qui le précédait a freiné sec pour laisser passer un couple de piétons trop décidés. En une fraction de seconde, les pare-chocs furent désintégrés et il se retrouva le nez dans l’airbag, son téléphone perdu entre les pédales. Il émergea de son coussin gonflable tout éberlué alors que derrière lui, les suivants s’énervaient déjà. La conductrice de l’Audi, elle, était déjà dehors, à invectiver les piétons qui s’éloignaient sans s’inquiéter outre mesure de ce qui se passait derrière eux. À peine la jeune fille avait-elle esquissé un doigt d’honneur sans se retourner. Ils étaient déjà sur le trottoir et continuaient leur chemin en amoureux. La dame se rabattit alors sur Laurent en s’exprimant avec un fort accent slave : « Et vous, vous ne pouvez pas regarder où vous roulez ?! Et qu’est-ce que vous attendez pour les rattraper ? » Tout en aboyant sur Laurent, elle gesticulait éloquemment à l’attention de la file des virtuoses du klaxon qui s’allongeait derrière eux : ils attendraient qu’elle ait réglé ses problèmes ! Laurent s’extirpa de sa voiture pendant que la dame slave était retournée à la sienne pour calmer ses bambins à grands coups de hurlements. Il constata les dégâts : les réparations allaient coûter un maximum. Pourvu que personne n’ait vu qu’il était au téléphone, sans quoi, l’assurance allait lui retomber dessus ! Ensuite, il s’avisa qu’il n’arriverait jamais chez Natacha et qu’il ferait aussi bien de l’appeler ; il récupéra donc son portable sous le fauteuil.
Mais la dame ne lui laissa pas le temps, qui répétait : « Rattrapez-les ! C’est de leur faute » Docile, il suivit alors la direction qu’elle lui indiquait, mais le couple avait déjà disparu derrière un coin. Il se mit à courir, son téléphone à la main. Il entendit qu’il avait un message, qu’il prit le temps de lire ; il avait toujours du temps pour ses messages. C’était Natacha : « Chéri, ne viens pas cet après-midi, je suis terriblement fatiguée. Kissou » Tant mieux pensa-t-il. Finalement, cet accident avait du bon : il était toujours plus ou moins dégoûté par les « indispositions » des femmes. Il s’en retourna donc à sa poursuite des piétons désinvoltes. Hé ! les apostrophe-t-il, les apercevant enfin, hé, vous deux ! En quelques secondes, il les avait rejoints. Les deux jeunes gens se retournèrent, étonnés. Pas autant cependant que Laurent qui reconnut Natacha, le GSM encore à la main, l’air plus rayonnante qu’il ne l’avait jamais vue.