samedi 25 février 2012

Une tétralogie vénusienne

Ça m’avait fait tout drôle de lire mon nom sur la couverture. J’avais envoyé mes textes à Lunatique comme à plein d’autres revues plus ou moins connues dans le domaine de la SF. Ils en étaient à leur quatrième numéro ; je m’étais abonné dès le deuxième. Il se dégageait des éditoriaux une force de conviction qui m’avait plu. La mise en page aussi : claire, propre, alternant agréablement textes et illustrations. Et surtout, une seule publicité, pour une compagnie d’assurances ou quelque chose comme ça. Tout cela dénotait avec la plupart des autres fanzines. J’avais donc relevé l’adresse et expédié trois nouvelles sans trop y croire. Et voilà que sans préavis, l’une d’elles se trouvait imprimée.
Le jour même de la parution de ce numéro désormais immortel à mes yeux, je recevais un courriel signé Dominique Henrard m’invitant à discuter de mes textes dans un bistrot d’Ixelles. Le nom de Dominique Henrard apparaissait un peu partout dans la revue : directeur de la publication, signature des éditoriaux, critique de livres, et une nouvelle par numéro. C’est à lui que j’avais envoyé mes nouvelles via son adresse électronique, les petites revues n’exigeant pas de manuscrit, comme les grandes maisons d’édition. Je me présentai donc dans ce troquet des environs de la place Flagey, cherchant du regard le fumeur de pipe bedonnant sous un loden que je m’étais imaginé. Personne ne correspondant au signalement, je me renseignai auprès du barman.
« Dominique ? Elle est derrière vous ». Je me retournai vivement. Elle ? Ayant entendu son nom, la susnommée me dévisagea avec une intensité dont j’ignorais encore qu’elle était surtout due à sa myopie. « Robert Guilleaume ? Enchantée » fit-elle tout en m’invitant à sa table. Je bafouillai tant bien que mal un malheureux « bonjour » et pris place en face d’elle. La presse du jour et divers papiers encombraient la table. Elle en ramena vers elle une partie pour me laisser une place. « Qu’est-ce que vous prenez ? » Je crois que dans ma confusion, j’ai commandé un thé citron, moi qui n’en bois jamais. Elle avait devant elle un ballon de rouge.
Un peu comme une hôtesse, elle m’expliqua : « Vous êtes ici dans une des annexes de nos bureaux. Il y en a deux ou trois dans le quartier. Celle-ci est ma préférée. » Elle ne fumait pas la pipe, mais du tabac à gauloises et tout en parlant, elle roulait ses clopes, puis les allumait sans s’inquiéter que cela me dérange ou pas.
Elle me parla un peu de mes textes, de ce qu’elle y avait trouvé sans que j’eusse l’impression de l’y avoir mis, de divers auteurs qui sûrement m’avaient inspiré, et aux noms desquels j’acquiesçais alors que je ne les avais jamais lus. Elle critiqua l’un ou l’autre passage, me dit de me méfier de ma tendance au cabotinage, de mes clins d’œil au lecteur. « Il ne faut pas en abuser ». Je la regardais tout en l’écoutant et je me disais que j’avais bien de la chance d’avoir un aussi joli directeur de publication, mais elle ne sembla pas remarquer mon émoi.
Elle parla d’elle aussi. De sa passion d’écrire pour laquelle elle n’avait que peu de temps car elle travaillait et gagnait d’ailleurs bien sa vie dans un domaine qui m’était étranger : elle travaillait pour un trader. Son patron –via la publicité– et son propre salaire étaient ses mécènes. Elle s’imaginait en ogresse de l’édition et s’était donné deux ans pour réussir et lâcher les opérations boursières.
Deux heures plus tard, elle régla l’addition, ses consommations et les miennes, puis me remit une enveloppe. Je l’ouvris : 120 euros !
- « Mais, c’est quoi, ça ? »
- « Vous n’imaginez quand même pas que je vous ai fait venir ici rien que pour voir votre tête. D’ailleurs, je l’ai vue sur votre profil facebook, et je peux vous dire que vous êtes beaucoup mieux en vrai » ajouta-t-elle en souriant.
- « Non, mais... » En réalité, je n’envisageais de monnayer mes écrits que dans un futur aussi improbable que celui de mes nouvelles. À mes yeux, être édité, c’était déjà une récompense en soi.
Elle me coupa dans mes pensées : « C’est mon tarif. Les éditeurs qui ne paient pas leurs auteurs sont des escrocs ou des amateurs. Je n’ai pas encore la carrure pour être un escroc, ça viendra peut-être. Mais si je veux réussir, je ne peux pas me permettre d’agir en amateur. » Elle ajouta : « D’ailleurs, n’allez pas vous méprendre : ces 120 euros, c’est aussi votre fidélité que je paie ; c’est un investissement. » Elle n’avait pas encore tout à fait fini de jouer en bourse...
J’écrivais, j’avais toujours écrit, j’écrirai encore. J’ai depuis touché d’autres piges et des droits d’auteur, j’ai même été approché par « J’ai lu », mais quand Dominique Henrard sera devenue l’impératrice de l’édition qu’elle ambitionne d’être, c’est promis : ma tétralogie vénusienne sera pour elle !