samedi 8 juillet 2017

Nuit blanche



Il me guette depuis le début de la nuit. Je n’en ai pas fermé l’œil. À chaque fois que je l’entends s’approcher, je me redresse en sursaut. Aux aguets, je retiens mon souffle pour mieux entendre, mais rien : il a déjà disparu dans les ténèbres. Je me recouche alors, hésitant entre l’abandon et la lutte. Tentant de recouvrer grâce à l’horizontale, un peu de repos, mais la honte se fait jour : vais-je vraiment passer la nuit en victime consentante ? Déjà cinq heures sonnent au clocher du village. Je ne peux m’y résoudre, mais quoi ? Un ennemi invisible qui...

Invisible ? Mais cela ne tient qu’à moi qu’il ne le fût plus ! Il y a, dans le couloir, une petite commode contenant bougies et allumettes. Je me dresse au bord du lit et crânement fais le voyage dans la pénombre. De retour dans ma chambre, je fais fondre la base du petit bout de chandelle et le colle au fond de la soucoupe qui repose sur ma table de nuit. Qu’il vienne maintenant, le monstre !

Fière de moi, j’observe mon royaume reconquis. Il me reste une heure de sommeil. À moi les doux rêves ! Soudain, sur le mur de plâtre blanc, à la lumière falote de la bougie, une tache inconnue, une ombre. J’approche la bougie, pas trop près. C’est lui ; immobile, à l’affut, qui attend son heure. Ah, mais non, cette fois-ci, je te vois ! C’est mon tour. Tu vas payer ! Je vide mon verre d’eau. Dans le tiroir de ma table de nuit, je trouve un papier. Je m’approche tout en me dégageant de la lumière de la bougie. Il faut que je le voie bien, je n’ai pas le droit à l’erreur. Mon verre dans la main droite, je m’approche. Trente centimètres du mur, vingt, quinze... Il est juste au dessus du monstre.

Clac ! Le verre vient de s’abattre contre le mur. Je glisse ma feuille entre les deux et je ramène mon prisonnier vers mon lit. À la lumière de la bougie, je savoure ma victoire, mais ma vengeance ne saurait se résumer à la réclusion : seule la mort pourrait me compenser de mes tourments. Oui, la mort. En Enfer. Je reprends mon verre et je l’approche de la flamme. « Regarde, petit monstre, regarde ta peine. Tu vas connaître la vengeance de Marjolaine. » J’aime à penser qu’il s’affole. Je retourne le verre, papier vers le bas que je ne tiens que par un coin, et je le place à la verticale de la flamme. Je vois le papier brunir et je vois la bête se tordre. J’imagine la chaleur, j’imagine la douleur. Un dernier spasme et il tombe sur le papier qui s’enflamme presque. Il est mort. J’en éprouve un plaisir intense : « Bien fait pour toi, sale moustique ! » J’ai presque envie qu’il y en ait d’autres...

Je vais pour, enfin, me coucher et dormir, mais Maman m’appelle :
« — Marjo, c’est l’heure de l’école !
— Oh non, M’man, je suis fatiguée.
— Fatiguée ? Tu as eu toute la nuit pour dormir. Allez, debout ! Ne fais pas ta mijaurée. »
Je sors de ma chambre. La maison est baignée de lumière. Vivement ce soir !