lundi 11 mai 2015

Le destin est aveugle

Son handicap avait fait de Charles un homme prudent. Il savait que pour survivre aux dangers de la jungle urbaine, il lui fallait mettre toutes les chances de son côté. Il s'était ainsi fait tatouer son groupe sanguin au revers de la main. Il sentait encore les picotements en sortant de l'échoppe du tatoueur et sans doute en était-il un peu distrait car il s'engagea sur le carrefour sans prêter la moindre attention au signal.
L'automobile le faucha à la vitesse réglementaire de cinquante kilomètres à l'heure, envoyant du même coup sa canne blanche et ses lunettes noires dans la rigole. À l'arrivée de l'ambulance, Charles avait déjà perdu beaucoup de sang. Il eut cependant,  avant de sombrer dans l'inconscience un éclair de satisfaction à l'idée que sa prévoyance allait sans doute lui sauver la vie. Pourtant, il mourut peu après son admission à l'hôpital faute d'une transfusion adéquate, car aucun urgentiste ne pensa à donner aux quelques points qui marquaient  son poignet, le sens qu'ils avaient : AB+.