dimanche 15 mars 2015

La triste et pathétique histoire du vin qui n'avait jamais pu vieillir

Il y avait dans mon enfance un monsieur qui, chaque année à la même période, venait visiter mon père. Il s'appelait Peuch et représentait la maison "Peuch et Besse" qui, je le suppose, existe encore aujourd'hui, même si Monsieur Peuch doit avoir disparu. C'était dans les années 60 et 70. Si je me souviens bien de son accent et si je situe bien celui-ci sur la carte de France, ce monsieur devait être Bordelais.
C’était un négociant en vins qui venait tous les ans présenter à mon père les crus qui seraient susceptibles de l'intéresser : blancs, rouges, bordeaux, grenats, clairets, vins à vieillir ou à consommer jeunes... La Maison de M. Peuch s'étendait bien au-delà du Bordelais, je suppose, puisque j'ai le souvenir de vins de la Loire, de Bourgogne et des Côtes du Rhône. Il était rare que mon père s'en tirât à moins d'un quart de barrique, parfois deux, auxquelles s'ajoutaient des alcools divers, du Champagne et autres bouteilles particulières ; il faut savoir être prévoyant. Le whisky posait moins de problèmes ; on le trouvait au magasin du coin.
Arrivait donc à Bruxelles, quelques semaines plus tard, un camion rempli de la commande. Une fois le vin reposé, on allait pouvoir procéder à la mise en bouteilles. Vous connaissez tous la cérémonie : On stérilise les bouteilles et les bouchons, on amorce la pompe, et zou, ça roule ! Glouglou, fait la pompe ; tchic-plop, fait la bouchonneuse, et voilà. Il ne reste plus qu'à coller les étiquettes avec du lait. Ça, c'était mon boulot : 'fallait pas que ce soit de travers. J'étais déjà obsessionnel, à cet âge-là. Ah, oui ! J'oublie le capsulage. Je ne sais plus si c'était avant ou après les étiquettes, et j'ai oublié le bruit que faisait la machine.
En attendant de remettre le vin à reposer dans son nouveau contenant, et dans des caveaux dévolus à cette effet, on déposait les bouteilles sur la table de ping-pong. Mon père l'avait construite de ses mains de bricoleur chevronné pour ses enfants, car en dehors des périodes d'embouteillage, cette partie de la cave était réservée à nos loisirs. Combien de bouteilles peut-on remplir au départ d'une demi-barrique ? La question est plutôt de savoir combien une table de ping-pong artisanale peut en supporter sans…
... Car il y eut la bouteille de trop. Celle qui fit chavirer l'ensemble et se briser sur le ciment une bonne partie du travail accompli jusqu'alors. On pleura un peu, on balaya beaucoup et on nettoya à grandes eaux. On finit par en rire, je suppose ; les réserves étaient suffisantes jusqu'à l'année suivante. Et on garda l'anecdote pour les soirées au coin du feu. Mais sans doute après cela, mon père, qui était un homme organisé, s'est-il inquiété des termes de son assurance accidents…

vendredi 6 mars 2015

Flore


Les anciennes cuisinières à gaz sont bien dangereuses. Pour peu qu’on soit distrait, la casserole déborde, le liquide éteint la flamme, et le gaz continue de s’échapper en toute liberté. La mienne, de casserole, ça fait déjà un moment qu’elle bouillait.
Quinze ans ! Quinze ans que tous les jeudis tu renouvelles le bouquet de fleurs sur la table du salon. « Un si beau vase, ce serait dommage de le laisser inutilisé » disais-tu à propos de cette horreur signée Val-Saint-Lambert héritée de ta mère. Quinze ans que tu ignores superbement mon rhume des foins et mes yeux rouges. Quinze ans que tu progresses dans l’extravagance : car ils sont de plus en plus colorés, de plus en plus fournis, de plus en plus riches, tes bouquets. Riche comme doit d’ailleurs l’être le fleuriste du quartier ; celui chez qui tu suis tes cours d’arrangement floral au rythme minimum d’un après-midi par semaine. Un véritable artiste doublé d’un pédagogue, ton jardinier d’intérieur, paraît-il. Tout comme il paraît que tu es « très douée ». Si tu le dis...
Moi, je n’y mets jamais les pieds chez ton marchand : autant m’enfoncer la tête dans un sac en plastique. Mais il nous arrive de le croiser en rue. Et c’est bizarre, j’ai l’impression qu’il a deux sourires différents : d’abord un pour toi, un peu mielleux, un peu niais, un sourire de commerçant, quoi ; alors que celui qu’il m’adresse ensuite me semble teinté d’ironie. Je trouve ça peu fair-play de se moquer de l’infirmité de ses voisins. Est-ce que je me moque de ses rouflaquettes de garçon coiffeur, de son bronzage de banc solaire et de sa chaine en or, moi ? Il y aurait pourtant de quoi.
Enfin, on a des comptes séparés, et si tu veux faire la richesse d’un fleuriste, c’est ton affaire. Moi, je garde mes sous. Pour la belote chez Fernand, pour mes cravates, puisqu’il y a belle lurette que tu ne m’en achètes plus, pour mon Lotto. Et si je gagne... Bye-bye, je disparais, loin de tes fleurs et de ta tabagie. Parce que tu fumes en plus. Le soir, devant la TV, la fumée de tes Gauloises, en plus du pollen de tes iris de merde, c’est insupportable. Et pourtant, je supporte. Pour combien de temps encore ? De mémoire d’asthmatique, je ne me souviens pas d’un printemps aussi calamiteux. On dirait que toutes les essences se sont mises d’accord pour exploser leurs parfums les uns après les autres, sans un instant de répit. Et il y a belle lurette que plus aucun antihistaminique ne me fait d’effet. Pour survivre, il me faudrait en permanence vivre au vent du large, dans un désert ou dans les neiges éternelles. Je supporte et j’attends le gros lot...
C’est lors d’une crise d’éternuements particulièrement féroce que m’est venue la solution. Les papiers qui se trouvaient devant moi précisément ceux de notre assurance-vie dont je revoyais les termes avaient volé dans tous les sens ; un vrai champ de bataille ! Comme si un bâton de dynamite était passé par là.
Tu savais que mon travail me retenait en province pour la nuit. Je comprends que tu en aies profité pour poursuivre ton cours d’art floral à domicile : ça devait vous inspirer de travailler in situ. Mais j’avais malencontreusement oublié la bouilloire sur le gaz avant de sortir. Alors évidemment, quand tu as allumé ta clope à peine passé le seuil de l’appartement, ton professeur en a été soufflé également. C’est ce qu’on appelle un dégât collatéral.
On dit qu’un bonheur n’arrive jamais seul, c’est vrai. Cinq numéros plus le complémentaire, ça ne fait pas le gros lot, mais ça permet de belles vacances, même à deux. Je ne t’ai pas parlé de la nouvelle serveuse de chez Fernand ? Flore, vingt-cinq ans, belle comme un printemps ! Oh, ça ne durera sans doute pas, mais cette histoire-là ne me fera pas pleurer.

mercredi 4 mars 2015

marabout de ficelle de cheval

Ça commencerait un peu comme ce film où Michael Douglas pète les plombs dans un embouteillage. J'aime bien Michael Douglas, comme acteur. J'aimais bien son père aussi. Ils se ressemblent, non? C'est marrant comme des caractères physiques peuvent se transmettre ainsi d'une génération à l'autre. Mon frère, par exemple, avait hérité des grandes oreilles de notre grand-père. Je m'étais d'ailleurs amusé à transformer une photo en un petit film où on les voyait grandir encore. C'est que, de nos jours, n'importe qui peut utiliser des petits programmes informatiques sans aucune formation. Il suffit de pratiquer un peu et hop ! comme une lettre à la poste. Encore que parfois, les services postaux laissent à désirer. Je dois avouer cependant que je n'ai jamais vraiment eu à m'en plaindre. Sauf… Mais je ne pourrais pas développer ce sujet sans porter atteinte à l'honorabilité d'une personne qui m'est chère. Et puis, c'était il y a si longtemps. On comptait encore en francs, c'est vous dire. Il parait d'ailleurs que certains veulent y revenir. Personnellement, je n'ai aucune opinion sur la question. Sans doute faudrait-il un référendum? Quelle affaire ce serait ! On serait harcelés de toutes parts pour donner notre voix d'un côté ou de l'autre. Le harcèlement, voilà bien un des maux de notre époque. On parlait encore récemment à la télévision d'un employé forcé de démissionner sous la pression de ses collègues. Bien sûr, il ne faut pas croire tout ce que disent les journaux. C'est comme la vie privée des stars; sait-on jamais vraiment si leurs excentricités ne sont pas inventées par des journalistes en mal de copie? Si on les écoutait, tous les artistes seraient drogués, alcooliques, maniaques, pervers… Franchement, on peut bien vivre sans savoir que Michael Douglas est accro à la cocaïne. J'aime bien Michael Douglas, comme acteur. J'aimais bien son père aussi...