J’aime bien Mireille ;
Josiane, moins.
Entendons-nous
bien : je ne veux pas dire par là que je préfère l'amie de ma fille à ma
femme, mais bien que ma femme a un souci avec celle-ci. Pourtant, quand Mélanie
nous avait présenté Mireille, Josiane l’avait trouvée charmante. Il faut dire
que jusqu’alors, les copains de notre fille, c’étaient plutôt des rappeurs à
casquette qui semblaient nous prendre pour des zombies. Alors, cette gamine
toute fraiche, toute pimpante, qui redonnait à Mélanie le goût des études, cela
avait été un vrai bol d’air pour Josiane.
C’est vrai qu’on s’inquiétait pour son
avenir à Mélanie; elle n’avait pas l’air de s’amuser beaucoup dans ses études
de pharmacie et certains jours, elle revenait de l’université avec un drôle
d’air. « On a fait un labo »
disait-elle. Faut-il vraiment que les étudiants essaient eux-mêmes tous les
médicaments ? Bref, Josiane et moi, on a tout de suite vu la différence
entre Mireille et les autres copains. « Ça a tout de suite été le coup de foudre » nous ont-elles
expliqué. Manifestement, elles s’entendaient bien ; elles étaient
joyeuses, et quand Mireille partageait notre dîner, toutes deux parlaient de
leurs cours, de leurs profs, de la vie sur le campus ; des étudiantes
modèle, quoi ! Mélanie découchait toujours autant, mais de la savoir avec
son amie on était rassurés : « Elle
étudient » se disait-on. Et les rappeurs avaient disparu du paysage.
De mon côté, je n’étais pas insensible aux charmes de cette jolie rousse à
l’œil coquin, aux jambes de mannequin, aux... enfin bon. Le fantasme y trouvait
son compte ; en tout bien tout honneur, bien sûr ! Mais on peut
rêver...
De son côté, Josiane attendait le Prince
charmant. Je veux dire : pour sa fille. Elle espérait que Mélanie lui
présenterait un jour un jeune étudiant en dentisterie —à chacun ses fantasmes—,
avec mariage et une flopée de petits-enfants à la clé. Les quelques prétendants
au titre qui s’étaient présentés ne l’avaient guère convaincue. Heureusement, Mélanie
s’en était elle-même désintéressée assez vite. Mais, régulièrement, sa mère
s’acharnait à s’enquérir de sa vie sentimentale et de ses projets.
- « Maman, je n’ai que 22 ans ! »
- « Hé bien, j’en avais 20 quand ton père m’a épousée. »
Mélanie nous considérait alors avec une
sorte d’indulgence navrée et la conversation s’arrêtait là.
Quand arriva le printemps, annonciateur du blocus de fin de
session, nous ne vîmes plus les deux amies que lors de repas dominicaux
auxquels Josiane tenait beaucoup. Mais pour les études, le petit flat de Mireille
offrait, disaient-elles, plus de confort. Josiane peinait à se faire à
l’éloignement croissant de sa progéniture, mais comme je le lui répétais, il
faudrait bien un jour que notre fille fasse sa vie et en attendant, il fallait
qu’elle réussisse l’université. Et justement, l’énergie communicative de Mireille
avait porté ses fruits : pas un seul échec. Pour la première fois depuis
l’école primaire, Mélanie allait pouvoir passer des vacances d’été sans
deuxième session. Bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes,
hormis pour Josiane, le gendre idéal qui tardait à arriver à se présenter.
C’est dans l’euphorie de la réussite que Mélanie entreprit
de nous faire part d’une « grande nouvelle ». Je surpris le regard
extatique de ma femme quand sa petite fille chérie commença avec un drôle de
sourire : « Maman, Papa, je
suis amoureuse... », mais je la vis se liquéfier en entendant la
suite : depuis six mois, notre fille filait le parfait amour avec Mireille.
- « Tu veux dire que c’est (les mots eurent du mal à passer)
ta petite amie ? »
- « Oui. »
- « A... alors, quand tu dors chez elle, tu... vous... ? »
- « Oui, avait coupé Mélanie. »
Josiane avait fondu en larmes. Ses rêves de grand-mère aux
confitures s’évaporaient. Mélanie ne s’était pas étonnée outre mesure de cette
réaction et essaya à peine de consoler sa mère. Les repas familiaux n’eurent
plus la même saveur, mais ils continuèrent ; toute mortifiée qu’elle fût,
Josiane ne pouvait se résoudre à couper le cordon et elle fut bien obligée
d’accepter Mireille comme sa belle-fille. Elle n’avait pourtant pas encore tout
vu : Un dimanche, les deux filles arrivèrent accompagnées d’un ignoble
clébard, bruyant et névrosé, qui
occupait bien plus d’espace que ses 400 grammes de nerfs et d’os ne le
laissaient supposer. Elles l’avaient baptisé Rambo. « En attendant
d’avoir des enfants » avait minaudé la rouquine copine. Quand elles
furent parties, Josiane explosa : « Des enfants ? Mais de qui seraient-ils ? » Elle ne
se voyait vraiment pas pouponner avec amour des enfants adoptés, ou nés de père
inconnu. « Et par quelle opération,
Grand Dieu ? » Josiane n’a pas toujours de suite dans les idées.
Voulait-elle ou ne voulait-elle pas de petits-enfants ?
Mélanie, qui avait cru discerner un certain agacement chez
sa mère, convainquit sans doute son amie de ne plus remettre le sujet sur la
table. La crise passa, et la vie continua. On les vit même plus souvent à la
maison. Mireille se faisait enjôleuse. Voulait-elle nous convaincre que
finalement, elle ferait une bru parfaite ? Elle s’offrait à la vaisselle, au
ménage, à la cuisine. Elle parvint même à nous faire partir en vacances à
quatre ; elle avait dégotté une petite location à Naples et s’était
occupée de tout, nous n’avions eu qu’à préparer nos bagages. Josiane, qui n’avait plus vu l’Italie
depuis notre voyage de noces se laissa convaincre. Tout était prévu ; à l’aéroport,
une petite Fiat nous attendait pour la quinzaine et le petit appartement était
idéalement placé entre les
commerces et la plage.
Les femmes passaient donc le plus clair de leur temps entre
séances de bronzette et shopping. Je préférais généralement de mon côté un bon
livre dans un fauteuil installé sur la terrasse avec un verre de Chianti. Nous
nous retrouvions en fin de journée avant d’aller dîner au restaurant. Tant bien
que mal, on aurait dit que nous ressemblions à une vraie petite famille, même
si je sentais que Josiane gardait sa réticence. Pour ma part, je persistais à
trouver sympathique la jolie rouquine aux yeux verts. Elle avait une façon de
me sourire quand elle me parlait qui me rappelait les frissons de mes jeunes
années. Je
pensais qu’elle essayait de se rendre sympathique aux yeux de son beau-père,
puisque Josiane gardait ses distances avec elle. Mais quand j’ai senti, un soir
au restaurant, son pied frotter mon tibia sous la table, son regard m’indiqua
qu’elle ne m’avait pas confondu avec Mélanie.
Le
lendemain, veille de notre retour à Bruxelles, elle se trouva malade. Un début
d’insolation, disait-elle, et il valait mieux éviter le soleil. Elle resta donc
à la maison avec moi. Elle n’ignorait pas que Mélanie et
Josiane étaient parties au moins pour la matinée. Trois heures en tête-à-tête,
c’est plus qu’il n’en faut quand on sait ce qu’on veut. Moi, je ne savais pas
tout à fait ce qu’elle voulait. J’aurais mieux fait de le savoir sans doute, mais
je n’ai vu que la lumière qui brillait dans ses yeux verts, et j’ai fait ce que
font les hommes quand ils voient cette lumière. J’eus à peine le temps de me
rendre compte de ce qui était arrivé que nous étions déjà dans l’avion qui nous
ramenait à notre quotidien.
Après ces vacances, nous ne les vîmes quasiment plus.
Mélanie passait en coup de vent,
généralement seule. Josiane déprimait, se languissait de sa petite fille, et
moi, j’oscillais entre remord —léger— et nostalgie. Ce n’est qu’hier, après six
semaines qu’elle se sont invitées à dîner. Elles étaient lumineuses, surtout
Mireille. Et là, Josiane a touché le fond : Elles nous ont joyeusement annoncé
qu’elles attendaient un enfant. « Je
suis enceinte » a précisé Mireille en fixant sur moison sourire et ses yeux verts.
Quand elles furent parties, je n’ai pas osé consoler Josiane et lui expliquer
qu’après tout, ça ne sortait pas de la famille.
C’est drôle, finalement, je ne suis plus sûr de toujours
aimer autant ma belle-fille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire