samedi 4 février 2012

Le sommeil du juste


Il avait le sommeil léger, plus exactement, difficile à trouver. La moindre contrariété le perturbait dans sa quête du repos. Ça allait du robinet qui goutte aux conversations tardives des voisins et de leurs hôtes sur le pas de la porte, en passant par les moteurs ronronnant des heures durant à basse fréquence. Les menues inquiétudes du quotidien s’interposaient elles aussi entre lui et Morphée : avait-il pris tous ses médicaments ? Le réveil était-il bien réglé ? Tout était-il prêt pour sa journée du lendemain ? Il se relevait alors pour faire le tour de l’appartement avant de se recoucher, vaguement rasséréné.
Allergique aux boules Quiès comme aux anxiolytiques, il prenait sur lui et se fabriquait son petit ulcère en solitaire.
Depuis peu, il avait des voisins ; un couple qui s’était retrouvé là grâce à sa nièce. Ils étaient charmants, mignons, mais ils étaient manifestement amoureux et ça faisait du bruit : un grincement régulier accompagné de petits cris. La scène se répétant plusieurs fois par jour... et par nuit. Au bout d’une semaine, le bruit et peut-être surtout la certitude qu’il allait inexorablement se produire lui fut encore plus intolérable que tout ce qu’il avait enduré jusqu’alors.
Cette nuit-là, leurs ébats reprirent vers une heure du matin. Tandis qu’il contemplait son réveil, égrenant tristement les minutes, il se demandait à combien de temps se réduirait sa nuit. « Ça ne peut plus durer », pensait-il. Il se jugeait d’un naturel accommodant, sociable même, mais là, c’en était trop. Il se releva et passa une robe de chambre.
Il trouva ce qu’il lui fallait dans la cuisine. Ensuite, pénétrant dans la pièce où ils faisaient leurs affaires, il s’approcha d’eux sans qu’ils remarquent rien. En quelques instants, tout fut réglé : il les prit l’un après l’autre et les fourra dans le sac plastique où ils se débattirent quelques instant avant de succomber au manque d’oxygène. Enfin, il jeta le tout dans le vide-ordure.
En se recouchant, il pensa qu’il devrait, dès le lendemain, faire l’achat d’un aquarium et de deux poisons rouges afin de consoler sa petite nièce, car elle serait sûrement très malheureuse pour les petits lapins qu’elle avait laissés en pension chez lui. Puis il s’endormit, du sommeil du juste. 

3 commentaires:

  1. Produit typique de l'atelier: décrire la progression des rapports entre les personnages qui entraîne l'un d'eux au meurtre final. Temps: 30 minutes. Juste suffisant pour poser la trame et quelques phrases. Après quoi, il faut récrire...

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  2. Très amusant, cruel dilemme. La fin est rapide mais le tout est bien ficelé !

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  3. Texte très bien balancé, encore un de ces petits contes cruels qui sortent facilement de la plume de Robert. Bravo!

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