Ta page d’écriture quotidienne passe
toujours par les mêmes angoisses, la même torture : Écrire ?
Pourquoi ? Pour qui ? Tu es assis devant ta feuille blanche à guetter
l’idée qui ne vient pas. Écrire ? Quoi ? Tu sens ton estomac se contracter.
Peut-être qu’avaler quelque chose te ferait du bien ? Non ! Surtout,
rester concentré. Pourtant, il y a, dans le tiroir, dissimulé entre le paquet
de spéculoos et les boules de gomme, 125 grammes de provocation à l’état pur.
Habillés de carton et d’aluminium, 125 grammes d’un habile mélange d’éclats de
noisettes et de "Noir de Noir" ; noir, comme ta feuille est
blanche.
Il le sait, lui, que tu ne résisteras
pas. Il te connait. « Juste un petit morceau ». Il guette ta première
faiblesse, ta première lâcheté, celle qui justifiera toutes les autres. C’est
seulement une question de temps. Tu te lèves sans y penser, tu arrives à la
cuisine. Tu passes devant le tiroir. Il suffirait... Mais non ! Tu vas à
l’évier. Tu te sers un verre d’eau. C’est bon, l’eau, c’est sain. Ça élimine
les toxines, les graisses, les sucres.
Tu retournes à ton bureau et à ta feuille
blanche. Tu te forces à écrire. Trois mots. « Choc ; au ;
lit ». D’où te vient cette inspiration vaguement érotique ?
Aphrodite ? Vénus ?... Jeanine ! C’est elle qui disait
« pas de chocolat ; pas de choc au lit ! ». Elle t’avait
initié au plaisir. À tous les plaisirs. Avant de la connaitre, tu avalais ta
barrette presque sans la déballer. Elle t’avait expliqué : « Le chocolat,
c’est comme l’amour : ça doit se déguster. Du bout des lèvres, du bout des
dents. Il doit fondre sous la langue et faire exploser tes papilles. » Tu
te souviens de votre premier baiser. Elle t’avait chipé un bout de ta
tablette et l’avait mis en bouche, laissant dépasser un petit coin ;
chocolat noir entre ses dents blanches. « Reprends-le, si tu
peux ! » Vous aviez fini la tablette sous la couette. Des miettes
avaient taché les draps blancs du lit. Blancs, comme ta feuille.
Du fond de son tiroir, il se fait plus
pressant. Il te susurre à l’oreille : « Laisse-moi t’aider,
t’inspirer. Ta feuille blanche, je pourrais t’aider, moi, à la féconder. Elle
est partie, Jeanine. Elle voulait un enfant de toi, et tu ne pouvais pas. Elle
est partie. Mais elle t’a laissé le meilleur d’elle-même : son gout pour les
bonnes choses. C’est elle qui m’a mis dans le tiroir, tu sais ? Me
prendre, ce serait un peu comme la prendre, elle ; la reconquérir. C'est
pour elle que tu écris. »
Tu te relèves, tu vas au tiroir.
Peut-être qu’un petit bout de te mettrait en train ? « Rien qu’un
morceau » penses-tu. « Rien qu’un morceau » dit-il. Fébrilement,
tu déchires l’emballage. Tu as déjà le morceau en bouche en arrivant à ta
table. À peine assis, tu en attaques un second. Le gout amer du chocolat noir
se confond avec celui de la défaite. Un troisième... Une vague de nausée te
submerge ; le paquet est vide, la feuille est griffonnée de quelques mots sans
valeur et Jeanine est partie.
remarquable,
RépondreSupprimercomme d'hab mais c'est vraiment vrai: tu es doué!
hans
Quand l'un de nos cinq sens perd son chapeau, il perd un peu de sa qualité. Ici, le plaisir de la lecture reste entier comme le bon beurre de cacao qui vient nous enrober en prévision des jours maigres...
RépondreSupprimerMerci !