mercredi 7 décembre 2011

Promesse de vie


C’est une ville. Elle est déserte. Les rues sont rectilignes.
Déserte, ça ne veut pas seulement dire qu’il n’y a personne : il n’y a rien. Pas de voiture, pas de jardin, pas de papiers balayés par le vent ; d’ailleurs, il n’y a pas de vent. Rien que des trottoirs étroits bordant des immeubles aux arêtes saillantes, aux fenêtres carrées béant sur d’insondables ténèbres. Une lumière crue tombe verticalement d’un ciel uni, offrant un spectre de couleurs qui va de l’ocre au gris.
Dans ce mélange de paysage terrestre et d’ambiance lunaire, j’arpente les rues. Deux cent septante-cinq pas entre chaque carrefour. Le silence est étrange, total ; pas une mouche pour le troubler. C’est à peine si j’entends mes propres pas et ma respiration. Je m’arrête... Non, je ne les entends pas. Je marche dans ce silence solide comme l’air. Combien de temps ? Rien n’indique qu’il soit plus tôt ou plus tard. Le temps est aussi immobile que l’espace. Et derrière chaque coin, le même décor immuable.
Un carrefour comme tant d’autres ;  je le traverse sans regarder. Je ne regarde plus. Pourtant...
Quelque chose d’insolite vient frapper la rétine de mon œil gauche. Je pivote : c’est un arbre, un feuillu, énorme, colossal. Ses racines vont d’un trottoir à l’autre ; le tronc est à peine moins large et ses plus basses branches frôlent les toits. Semblable à une statue, son feuillage n’a pas le moindre frémissement. Il est aussi immobile et silencieux que la ville où il plonge ses racines. Mais le parfum d’humus qui sourd de son ombrage ne ment pas : il reste un coin de vie dans cet univers stérile. Je m’approche. J’aperçois, suspendu à une branche, un point coloré. Une fleur, un fruit, un ballon d’enfant? Je m’approche encore pour mieux distinguer. Je suis presque en dessous quand l’objet tombe à mes pieds, doucement, comme une offrande. C’est un fruit. Je le ramasse ; sa peau est douce, une odeur sucrée monte à mes narines. Je vais pour y mordre, mais je me reprends et j’adresse d’abord à mon végétal ami un salut de reconnaissance. En quelques bouchées, tout est consommé. Il n’y avait ni pépins, ni noyau. Tout en mangeant, j’ai repris mon mouvement. Je suis maintenant à quelques pas du tronc. Sous mes pieds, un tapis de mousse me tend les bras, je m’y love, repu et doucement soûl. La ville et son périple infini me semblent loin, je m’offre quelques instants de repos.
***
L’homme s’endort bientôt d’un sommeil profond. Une bruine acide tombe alors du feuillage et dissout le corps étendu. Déjà, l’arbre y puise sa substance tandis qu’au loin, sous le ciel uni, s’agrandit encore son piège de rues.

2 commentaires:

  1. Août-septembre 2011. Juste avant que je ne me réinscrive à l'atelier d'écriture que je fréquente pour l'instant. C'est donc venu tout seul, ou presque. Mais c'est rare. D'où l'atelier...

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  2. L'atelier sert à faire venir des histoires ? Même quand on n'a rien à dire ? (Ça m'intéresse...)

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